Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

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CHAPITRE 29

Suite du même sujet. Combien les épreuves des contemplatifs surpassent celles des personnes qui sont dans la vie active ; c'est un grand sujet de consolation pour ces dernières.

1 Je crois que ceux qui sont dans la vie active s'imaginent. dés qu'ils voient les contemplatifs recevoir quelque consolation, que la vie de ces derniers n'est remplie que de joies. Et moi je vous dis que vous ne pourriez peut-être pas souffrir un seul jour ce qu'ils endurent. Mais comme le Seigneur nous connaît parfaitement, il donne à chacun de nous l'office qu'il juge le plus convenable à l'âme, à Sa gloire et au bien du prochain ; et pourvu que de votre côté vous n'ayez rien omis pour vous préparer, soyez sûres que votre travail ne sera pas perdu. Considérez bien ce que je dis : nous devons toutes tendre à cette fin - nous ne sommes pas ici pour autre chose - et y tendre non seulement un an ou dix ans afin que nous ne semblions pas abandonner par lâcheté, mais jusqu'à ce que le Seigneur comprenne que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir. Soyons comme les soldats qui ont beaucoup servi : pour que leur capitaine puisse disposer d'eux, ils doivent toujours être prêts, car quel que soit le poste où ils serviront, il leur donnera leur solde et les paiera généreusement. Mais comme notre Roi paye plus largement encore ceux qui le servent ! car ces infortunés soldats meurent, et Dieu sait ensuite qui les paiera !
2 Voyant donc ses soldats présents et désireux de le servir, le capitaine, qui connaît les aptitudes de chacun d'eux (pas aussi bien toutefois que notre céleste Capitaine), distribue les emplois selon leurs forces respectives ; mais s'ils étaient absents, il ne leur donnerait rien, et ne les enverrait pas en service auprès du roi. Ainsi, mes soeurs, oraison mentale ! et pour celle qui n'y parviendra pas, oraison vocale, lecture et colloques avec Dieu, comme je le dirai plus loin. Ne négligez jamais les heures d'oraison observées par les autres, vous ne savez pas à quel moment le Capitaine vous appellera et voudra vous envoyer de nouvelles épreuves dissimulées sous d'apparentes consolations. S'il ne vous appelle pas, comprenez que vous n'y êtes pas aptes et que la prière vocale est ce qui vous convient ; voilà en quoi consiste la véritable humilité : à croire sincèrement que vous n'êtes pas même capables de faire ce que vous faites, et à vous montrer joyeuses d'accomplir ce qui vous est commandé.
3 Si cette humilité est vraie, bienheureuse telle servante de la vie active qui ne se plaindra que d'elle-même. J'aimerais beaucoup mieux être à sa place qu'à celle de certaines contemplatives. Laissez donc les autres avec leur combat : il n'est pas petit. Ne savez-vous pas que dans les batailles, les porte-drapeaux et les capitaines ont l'obligation de se battre farouchement ?
4 Un pauvre soldat avance pas à pas, et si parfois il se cache pour ne pas entrer au plus rude de la mêlée, personne ne s'en aperçoit et il ne perd ni son honneur ni sa vie. Le porte-drapeau, bien qu'il ne combatte pas, porte le drapeau, et il doit se laisser mettre en pièces plutôt que de le lâcher ; tous ont les yeux fixés sur lui. Pensez-vous que ceux à qui le roi confie ces offices ont une tâche légère ? Pour un petit peu plus d'honneur ils s'engagent à souffrir beaucoup plus, et s'ils trahissent la moindre faiblesse, tout est perdu. Ainsi, mes amies, nous ne nous comprenons pas et ne savons pas ce que nous demandons ; laissons faire le Seigneur, il nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, et la vraie humilité consiste à être satisfaits de ce qu'on nous donne ; il y a des personnes qui semblent vouloir demander à Dieu des faveurs comme si c'était un droit. Étrange humilité vraiment ! aussi celui qui nous connaît tous a-t-il raison de ne leur en accorder que très rarement ; il voit clairement qu'elles sont incapables de boire son calice.
5 Voulez-vous, mes filles, savoir si vous avez fait des progrès ? Que chacune d'entre vous examine si elle se tient pour la plus misérable de toutes (et qu'elle montre qu'elle l'entend ainsi en agissant pour le profit et le bien des autres) ; la plus parfaite n'est pas celle qui goûte le plus de consolations dans la prière et a des extases, des visions ou d'autres choses de ce genre, car il faut attendre l'autre vie pour connaître la valeur de ces faveurs. La monnaie qui a cours, le revenu assuré, la rente perpétuelle et non la redevance remboursable à volonté (comme ces faveurs qu'on nous donne et qu'on peut nous retirer) se trouvent dans une grande vertu d'humilité, de mortification et dans une obéissance telle qu'on ne déroge pas d'un iota aux ordres du Supérieur (ce sont ceux de Dieu, vous le savez bien, puisque le Supérieur le représente). C'est surtout l'obéissance que je devrais recommander, car il me semble que sans elle il n'y a pas de religieuses ; mais je n'en parlerai pas puisque je m'adresse à des religieuses et, je le crois, à de bonnes religieuses - ou tout au moins désirant l'être. Sur un point aussi important je ne dirai qu'un mot et vous demande de ne pas l'oublier.
6 Je veux dire que si une personne a fait voeu d'obéissance et y manque en n'apportant pas tout le soin possible à l'observer avec là plus grande perfection, je ne sais pourquoi elle se trouve dans un monastère ; je puis au moins lui assurer qu'elle n'arrivera jamais à être contemplative, ni même à bien mener une vie active ; j'en suis absolument sûre. S'agirait-il d'une personne non tenue à l'obéissance, si elle veut ou prétend arriver à la contemplation, elle doit - pour marcher en toute sécurité - remettre totalement sa volonté à un confesseur expérimenté qui la comprenne. C'est un fait bien connu, et beaucoup ont écrit là-dessus ; mais comme cet avis n'est pas pour vous, je n'ai pas à en parler.
7 Je conclus, mes filles, en disant que telles sont les vertus que je désire vous voir posséder, rechercher et saintement envier. Quant à ces autres sentiments de dévotion, ne vous en occupez en aucune manière ; tout cela est incertain. Peut-être seront-ils un don de Dieu chez telle ou telle personne, et en vous Sa Majesté pourra permettre qu'ils soient une illusion du démon qui vous trompera, comme il en a trompés beaucoup d'autres ; il y a là un danger pour les femmes. Et si vous pouvez servir aussi bien le Seigneur par des chemins sûrs, comme je l'ai dit, qui vous oblige à vous exposer à un pareil péril ? Je me suis beaucoup étendue sur ce sujet parce que j'en connais l'utilité vu la faiblesse de notre nature ; pourtant, Sa Majesté sait la fortifier quand Elle juge bon d'élever une âme à la contemplation ; quant aux autres, j'ai pris plaisir à leur donner ces avis dont les contemplatifs tireront aussi profit pour s'humilier. Si vous dites, mes filles, que vous n'en avez pas besoin, je vous répondrai que l'une d'entre vous y trouvera peut-être de quoi se consoler. Plaise au Seigneur, dans sa bonté, de vous donner sa lumière pour suivre en tout sa volonté, et vous n'aurez rien à craindre.