Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 34

Persuade les soeurs d'éveiller à l'oraison les personnes qu'elles traiteront.
1 Maintenant, voyons un peu comment, pour entreprendre le chemin dont j'ai parlé et ne pas s'égarer dès le début, il faut commencer ce chemin, car c'est là ce qui importe le plus : tout dépend de là. Je ne dis pas que celui qui n'aura pas la détermination dont je vais parler renonce à se mettre en route, car Dieu le fortifiera peu à peu et, ne ferait-il qu'un pas, le chemin lui-même renferme en soi une telle vertu que, loin de lui la crainte d'avoir fait ce pas en vain ou de rester sans récompense ! Ce chemin porte en soi de grandes indulgences, et on en gagne plus ou moins. Imaginez quelqu'un qui aurait un chapelet indulgencié, s'il le récite une fois, il gagne une fois les indulgences, et plus il le récite, plus il gagne d'indulgences ; mais s'il ne le touche jamais et le garde dans son coffre, mieux vaudrait pour lui ne pas l'avoir. Ainsi, celui qui ne poursuivrait pas ce chemin de la contemplation recevra, pour le peu qu'il y aura marché, la lumière pour bien suivre les autres ; et plus il y aura marché, plus il aura de lumière. Enfin, il doit être assuré qu'aucun préjudice ne lui viendra d'avoir commencé ce chemin, même s'il vient à l'abandonner, car jamais le bien n'engendre de mal. C'est pourquoi, mes soeurs, efforcez-vous d'enlever à toutes les personnes qui s'entretiendront avec vous la crainte de se mettre à la recherche d'un si grand bien 150, si toutefois leurs dispositions ou l'amitié vous le permettent ; et pour l'amour de Dieu, je vous demande que vos entretiens aient toujours pour but le profit de ceux à qui vous parlez ; l'objet de vos prières n'est-il pas en effet le progrès des âmes ? dès lors que vous devez sans cesse le demander au Seigneur, il semblerait mal, mes soeurs, de ne pas le rechercher par tous les moyens possibles.
2 Voulez-vous être une bonne parente ? voici la manière d'aimer les vôtres ; voulez-vous être une bonne amie ? comprenez que vous ne pouvez l'être que par cette voie. Que la vérité règne en vos coeurs comme la méditation doit l'y faire régner, et vous verrez clairement quel amour nous devons avoir pour le prochain. Ce n'est plus le temps, mes soeurs, des jeux d'enfants, et ces amitiés du monde, pour bonnes qu'elles soient, ne me semblent pas être autre chose ; je veux dire : " M'aimez-vous ? " - " Ne m'aimez-vous pas ? " que de telles phrases ne soient jamais échangées parmi vous, ni avec vos frères et soeurs, ni avec personne à moins que vous ne visiez un noble dessein et ne travailliez au profit de cette âme. Il peut arriver en effet que, pour faire entendre et accepter une vérité à un parent, à un frère ou à une personne semblable, vous deviez l'y disposer par des phrases de ce genre et des démonstrations d'affection - ce qui flatte toujours notre nature ; peut-être estimera-t-il plus une bonne parole, comme on les appelle, que beaucoup de paroles de Dieu ; peut-être, aussi, celle-ci le disposera-t-il à bien recevoir celle-là ? Si donc vous recherchez le bien d'autrui, je ne les interdis pas ; mais en dehors de là, elles ne peuvent être d'aucun profit et pourraient vous nuire à votre insu. Les gens savent que vous êtes religieuses et que votre commerce est l'oraison. N'allez pas dire : " Je ne veux pas que l'on me croie bonne ", car le bien ou le mal que l'on verra en vous rejaillira sur la communauté. Il serait très regrettable que des personnes comme vous, tellement tenues à ne parler que de Dieu, croient bon de dissimuler dans ce cas, à moins que ce ne soit en vue d'un plus grand bien. Telle est la conversation, tel est le langage que vous devez avoir ; que ceux qui désirent parler avec vous l'apprennent ; et sinon, gardez-vous d'apprendre le leur ; ce serait l'enfer.
3 Vient-on alors à vous regarder comme des personnes grossières ? peu importe ; comme des hypocrites ? cela importe encore moins : vous y gagnerez de ne recevoir la visite que de ceux qui comprennent votre langue ; celui qui ne sait pas l'arabe ne peut s'entretenir souvent avec quelqu'un qui ne connaît que ce langage, ce serait absurde ! Ainsi, nul ne viendra vous fatiguer ni vous porter préjudice, car ce ne serait pas un petit dommage pour vous, de commencer à parler et à étudier une nouvelle langue ; vous passeriez tout votre temps à l'apprendre. Vous ne pouvez savoir - comme moi qui en ai fait l'expérience - le grand tourment qui en découle pour l'âme : en voulant apprendre une langue, on oublie l'autre, d'où une inquiétude perpétuelle ; or c'est ce que vous devez fuir à tout prix, car ce qu'il faut avant tout pour entreprendre le chemin dont nous commençons à parler, c'est la paix et le calme de l'âme.
4 Si ceux qui viendront vous voir voulaient apprendre votre langue, vous devez leur dire, bien qu'il ne vous appartienne pas d'enseigner, les richesses que l'on gagne à essayer de l'apprendre ; ne vous lassez pas de le leur répéter, et faites-le avec piété, avec charité et en y joignant vos prières, afin qu'ils en tirent profit, comprennent les grands bienfaits qu'elle entraîne, et aillent chercher un maître qui la leur enseigne ; ce ne serait pas une petite grâce que vous accorderait le Seigneur, si vous éveilliez une âme à poursuivre un si grand bien. Mais que de choses se présentent à l'esprit lorsqu'on commence à parler de ce chemin ! Oh ! comme je voudrais pouvoir écrire avec les deux mains afin de ne pas oublier une chose quand je suis en train d'en dire une autre.