Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 34
Persuade les soeurs
d'éveiller à l'oraison les personnes qu'elles traiteront.
1 Maintenant, voyons un peu comment, pour entreprendre le chemin dont j'ai parlé
et ne pas s'égarer dès le début, il faut commencer ce chemin,
car c'est là ce qui importe le plus : tout dépend de là.
Je ne dis pas que celui qui n'aura pas la détermination dont je vais
parler renonce à se mettre en route, car Dieu le fortifiera peu à
peu et, ne ferait-il qu'un pas, le chemin lui-même renferme en soi une
telle vertu que, loin de lui la crainte d'avoir fait ce pas en vain ou de rester
sans récompense ! Ce chemin porte en soi de grandes indulgences, et on
en gagne plus ou moins. Imaginez quelqu'un qui aurait un chapelet indulgencié,
s'il le récite une fois, il gagne une fois les indulgences, et plus il
le récite, plus il gagne d'indulgences ; mais s'il ne le touche jamais
et le garde dans son coffre, mieux vaudrait pour lui ne pas l'avoir. Ainsi,
celui qui ne poursuivrait pas ce chemin de la contemplation recevra, pour le
peu qu'il y aura marché, la lumière pour bien suivre les autres
; et plus il y aura marché, plus il aura de lumière. Enfin, il
doit être assuré qu'aucun préjudice ne lui viendra d'avoir
commencé ce chemin, même s'il vient à l'abandonner, car
jamais le bien n'engendre de mal. C'est pourquoi, mes soeurs, efforcez-vous
d'enlever à toutes les personnes qui s'entretiendront avec vous la crainte
de se mettre à la recherche d'un si grand bien 150, si toutefois leurs
dispositions ou l'amitié vous le permettent ; et pour l'amour de Dieu,
je vous demande que vos entretiens aient toujours pour but le profit de ceux
à qui vous parlez ; l'objet de vos prières n'est-il pas en effet
le progrès des âmes ? dès lors que vous devez sans cesse
le demander au Seigneur, il semblerait mal, mes soeurs, de ne pas le rechercher
par tous les moyens possibles.
2 Voulez-vous être une bonne parente ? voici la manière d'aimer
les vôtres ; voulez-vous être une bonne amie ? comprenez que vous
ne pouvez l'être que par cette voie. Que la vérité règne
en vos coeurs comme la méditation doit l'y faire régner, et vous
verrez clairement quel amour nous devons avoir pour le prochain. Ce n'est plus
le temps, mes soeurs, des jeux d'enfants, et ces amitiés du monde, pour
bonnes qu'elles soient, ne me semblent pas être autre chose ; je veux
dire : " M'aimez-vous ? " - " Ne m'aimez-vous pas ? " que
de telles phrases ne soient jamais échangées parmi vous, ni avec
vos frères et soeurs, ni avec personne à moins que vous ne visiez
un noble dessein et ne travailliez au profit de cette âme. Il peut arriver
en effet que, pour faire entendre et accepter une vérité à
un parent, à un frère ou à une personne semblable, vous
deviez l'y disposer par des phrases de ce genre et des démonstrations
d'affection - ce qui flatte toujours notre nature ; peut-être estimera-t-il
plus une bonne parole, comme on les appelle, que beaucoup de paroles de Dieu
; peut-être, aussi, celle-ci le disposera-t-il à bien recevoir
celle-là ? Si donc vous recherchez le bien d'autrui, je ne les interdis
pas ; mais en dehors de là, elles ne peuvent être d'aucun profit
et pourraient vous nuire à votre insu. Les gens savent que vous êtes
religieuses et que votre commerce est l'oraison. N'allez pas dire : " Je
ne veux pas que l'on me croie bonne ", car le bien ou le mal que l'on verra
en vous rejaillira sur la communauté. Il serait très regrettable
que des personnes comme vous, tellement tenues à ne parler que de Dieu,
croient bon de dissimuler dans ce cas, à moins que ce ne soit en vue
d'un plus grand bien. Telle est la conversation, tel est le langage que vous
devez avoir ; que ceux qui désirent parler avec vous l'apprennent ; et
sinon, gardez-vous d'apprendre le leur ; ce serait l'enfer.
3 Vient-on alors à vous regarder comme des personnes grossières
? peu importe ; comme des hypocrites ? cela importe encore moins : vous y gagnerez
de ne recevoir la visite que de ceux qui comprennent votre langue ; celui qui
ne sait pas l'arabe ne peut s'entretenir souvent avec quelqu'un qui ne connaît
que ce langage, ce serait absurde ! Ainsi, nul ne viendra vous fatiguer ni vous
porter préjudice, car ce ne serait pas un petit dommage pour vous, de
commencer à parler et à étudier une nouvelle langue ; vous
passeriez tout votre temps à l'apprendre. Vous ne pouvez savoir - comme
moi qui en ai fait l'expérience - le grand tourment qui en découle
pour l'âme : en voulant apprendre une langue, on oublie l'autre, d'où
une inquiétude perpétuelle ; or c'est ce que vous devez fuir à
tout prix, car ce qu'il faut avant tout pour entreprendre le chemin dont nous
commençons à parler, c'est la paix et le calme de l'âme.
4 Si ceux qui viendront vous voir voulaient apprendre votre langue, vous devez
leur dire, bien qu'il ne vous appartienne pas d'enseigner, les richesses que
l'on gagne à essayer de l'apprendre ; ne vous lassez pas de le leur répéter,
et faites-le avec piété, avec charité et en y joignant
vos prières, afin qu'ils en tirent profit, comprennent les grands bienfaits
qu'elle entraîne, et aillent chercher un maître qui la leur enseigne
; ce ne serait pas une petite grâce que vous accorderait le Seigneur,
si vous éveilliez une âme à poursuivre un si grand bien.
Mais que de choses se présentent à l'esprit lorsqu'on commence
à parler de ce chemin ! Oh ! comme je voudrais pouvoir écrire
avec les deux mains afin de ne pas oublier une chose quand je suis en train
d'en dire une autre.