Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 39
Il est très important pour celui qui est entré dans le chemin de l'oraison de ne pas retourner en arrière ; parle à nouveau de l'importance qu'il y a à s'y engager avec détermination.
1 Comme je m'écarte
du sujet ! Je répète qu'il est très important de commencer
ce chemin avec une ferme résolution, et les motifs en sont si nombreux
qu'il serait trop long de vous les énumérer ; certains d'entre
eux, d'ailleurs, sont indiqués dans d'autres livres. Je ne vous parlerai
que de deux ou trois. Le premier, c'est qu'il n'est pas raisonnable, lorsque
nous nous déterminons à servir celui qui nous a tant donné
et qui nous donne sans cesse, lorsque nous voulons lui donner quelque chose
(c'est-à-dire : ce léger effort d'attention, et non, certes, sans
intérêt, mais au contraire pour en retirer de très grands
avantages), de ne pas le lui donner résolument, mais comme un prêt
qu'on peut lui redemander. Je n'appelle pas cela : " donner " ;- sans
compter que celui à qui l'on a prêté une chose est toujours
un peu chagriné quand on la lui reprend, surtout s'il s'agit d'un ami
qui vous a lui-même prêté de nombreuses fois, et sans aucun
intérêt ; il est évident qu'il regardera comme une mesquinerie
et une pauvre preuve d'amour le refus de laisser en son pouvoir une petite chose,
ne serait-ce qu'en signe d'amitié.
2 Quelle est l'épouse qui, recevant de son époux beaucoup de bijoux
précieux ne lui donne au moins une pauvre petite bague, non à
cause de sa valeur - puisque tout appartient à l'époux - mais
comme marque d'amour, comme gage qu'elle sera sienne jusqu'à la mort
? Le Seigneur mériterait-il moins pour que nous nous moquions ainsi de
lui ? ne lui reprenons-nous pas aussitôt ce rien que nous venons de lui
donner ? Donnons-lui ces instants que nous avons décidé de lui
consacrer ; ils sont bien peu de chose en comparaison du temps que nous dépensons
pour nous ou pour des personnes qui ne nous en saurons pas gré ; l'esprit
libre et dégagé de tout le reste, offrons-les-lui avec une ferme
résolution de ne jamais les lui reprendre, quelles que soient les épreuves
qui pourront arriver, les contradictions et les sécheresses ; considérons
que ce temps ne nous appartient plus et que nous pourrions être appelés
à en rendre compte si nous ne voulions pas le donner totalement.
3 Quand je dis " totalement ", n'allez pas imaginer que vous reprendriez
ce que vous avez donné si un, ou plusieurs jours, vous ne faisiez pas
oraison à cause d'occupations légitimes ; il suffit que l'intention
reste ferme, et mon Dieu n'est nullement pointilleux ; il ne s'arrête
pas à des bagatelles ; il vous saura gré de votre bonne volonté
car, en définitive, vous lui aurez donné quelque chose. L'autre
manière est bonne pour ceux qui ne sont pas généreux, et
sont si parcimonieux qu'ils n'ont pas le courage de donner ; c'est déjà
beaucoup qu'ils prêtent. Enfin, qu'ils fassent quelque chose, notre Empereur
prend tout en compte ; il se conforme à notre façon de procéder.
Quand il reçoit nos comptes, il ne se montre nullement chiche, mais généreux
; quelle que soit la portée de nos dettes, il lui en coûte peu
de pardonner. Pour nous payer il est si exact qu'il ne laissera pas sans récompense,
soyez-en sûrs, le simple fait de lever les yeux au ciel en nous souvenant
de lui.
4 Le second motif pour lequel nous devons être fermement résolues,
c'est que le démon n'a pas autant de prise pour nous induire en tentation.
Il redoute beaucoup les âmes fortes ; il sait par expérience le
grand préjudice qu'elles lui causent, et que tout ce qu'il invente pour
leur nuire tourne à leur avantage et à celui du prochain : c'est
lui le perdant. Néanmoins, nous ne devons pas nous montrer négligents
ni nous fier à ceci, parce que nous avons affaire à une race de
traîtres ; si nous sommes vigilants, ils n'oseront pas nous attaquer car
ils sont très lâches ; mais s'ils voient que nous ne sommes plus
sur nos gardes, ils nous feront beaucoup de mal. Si l'ennemi s'aperçoit
que quelqu'un est hésitant, sans constance dans le bien qu'il fait et
sans grande résolution d'y persévérer, il ne lui laisse
de repos ni jour ni nuit ; il ne cesse de l'effrayer et suscite des difficultés
à n'en plus finir. Je le sais par expérience - c'est pourquoi
j'ai pu en parler - et j'ajoute que personne n'en réalise la grande importance.
5 Le troisième motif (et il est d'un grand poids) c'est que l'on combat
avec plus de courage : on sait que, coûte que coûte, il ne faut
pas reculer. Imaginez un soldat sur un champ de bataille ; il sait que s'il
est vaincu, il n'aura pas la vie sauve, et que s'il ne meurt pas sur le champ
de bataille, il mourra après. Il est prouvé, je crois, qu'un tel
homme luttera avec beaucoup plus de courage, et redoutera moins les coups, car
il comprend l'importance de la victoire. Il est tout à fait nécessaire,
en outre, que vous commenciez avec la ferme assurance que, si vous combattez
avec courage et êtes décidées à ne pas vous laisser
vaincre, vous viendrez à bout de l'entreprise ; cela ne fait aucun doute
: si petit que soit votre gain, il vous rendra très riches ; ne craignez
pas que le Seigneur, qui vous invite à boire à cette fontaine,
vous laisse mourir de soif. Je l'ai déjà dit, et je voudrais le
répéter mille fois, car cette crainte fait perdre grandement courage
à ceux qui ne connaissent pas encore parfaitement par expérience
personnelle la bonté du Seigneur, bien qu'ils la connaissent par la foi
; en vérité, c'est un grand avantage d'avoir expérimenté
avec quelle amitié et quelle tendresse il traite ceux qui vont par ce
chemin.
6 Je ne m'étonne pas que ceux qui ne l'ont pas éprouvé
veuillent avoir l'assurance d'y trouver quelque intérêt ; or vous
savez déjà que vous aurez le cent pour un dés cette vie,
et que le Seigneur dit : " Demandez et l'on vous donnera. " Si vous
ne croyez pas Sa Majesté qui nous donne cette assurance en plusieurs
endroits de son Évangile, il ne sert pas à grand-chose que je
me casse la tête à vous le répéter. J'ajouterai cependant,
pour le cas où vous auriez encore quelque doute : faites-en l'essai !
qu'y perdrez-vous ? Ce voyage a aussi ceci d'excellent, c'est que nous recevons
beaucoup beaucoup plus que nous ne demandons ou ne saurions demander. C'est
absolument certain, je sais qu'il en est ainsi ; si vous trouviez que ce n'est
pas vrai, ne me croyez plus en rien. Mais vous, mes soeurs, vous le savez par
expérience, et je peux vous présenter comme témoins, par
la bonté de Dieu. Ce qui a été dit est bon pour celles
qui viendront après nous.
7 J'ai déjà dit que je m'adresse aux âmes qui ne peuvent
ni se recueillir, ni fixer leur esprit dans l'oraison mentale, ni pratiquer
la méditation. Mais ne prononçons pas ces noms puisqu'ils recouvrent
des choses qu'elles ne peuvent pas faire ; et en vérité beaucoup
de personnes sont effrayées par leur seul nom.
8 Et comme il peut se faire que l'une d'elles entre dans cette maison (car,
je le répète, toutes ne sont pas conduites par le même chemin),
ce que je veux vous conseiller et même, pourrais je dire, vous enseigner
(puisque j'en ai le devoir, étant votre Mère), c'est la manière
de prier vocalement, car il est juste que vous compreniez ce que vous dites.
Et comme celles qui sont incapables de fixer leur pensée en Dieu peuvent
aussi se fatiguer à faire de longues prières, je ne veux pas m'y
arrêter, et ne mentionnerai que celles que nous sommes obligées
de réciter si nous sommes bonnes chrétiennes : le Paternoster
et l'Avemaria.