Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 60
Traite de ce mot : " quotidianum ".
1 Nous en sommes
donc arrivées à la conclusion que le bon Jésus, étant
nôtre, demande à son Père de nous le laisser chaque jour,
ce qui veut dire, semble-t-il, " pour toujours ". En écrivant
ceci, je me demande pourquoi, après avoir dit " chaque jour ",
il ajoute encore " aujourd'hui ". Je vais vous conter les folles idées
qui ont traversé mon esprit ; si elles le sont vraiment, qu'on les considère
comme telles ! c'est déjà assez fou de ma part de me mêler
de tout cela ; mais comme nous essayons de comprendre ce que nous demandons,
examinons bien le sens de ce que nous disons afin - je le répète
- que nous puissions prier comme il faut, et remercier celui qui prend tant
de soin à nous enseigner. S'il dit être nôtre " chaque
jour " c'est, me semble-t-il, non seulement parce que nous le possédons
sur la terre - puisqu'il reste avec nous ici-bas et que nous le recevons - mais
parce que nous le posséderons aussi au ciel si nous savons profiter de
sa compagnie ; car s'il reste avec nous, c'est uniquement pour nous aider, nous
encourager, nous soutenir afin que nous fassions cette divine volonté
dont nous avons demandé en nous l'accomplissement.
2 Quand il dit " aujourd'hui ", il entend, ce me semble : un jour,
c'est-à-dire la durée de cette vie. Car elle ne dure vraiment
qu'un jour ! Quant à ces infortunés qui vont se damner, qui ne
jouiront pas de lui dans l'autre vie, ce sont ses propres créatures,
et il fait tout ce qu'il peut pour les aider, les encourager et rester avec
eux pendant l' "aujourd'hui " de cette vie ; s'ils se laissent vaincre,
ce n'est pas de sa faute. Afin donc que le Père exauce sa requête,
il lui rappelle que ce monde ne dure qu'un jour et, par suite, le prie de le
lui laisser passer dans la servitude ; le Père nous a donné le
Fils, il n'est donc pas possible que le Père nous prenne le Fils au moment
où nous avons le plus besoin de lui ; car tous ces mauvais traitements
qu'on lui inflige en s'approchant de lui indignement ne dureront qu'un jour
; que le Père considère l'obligation où le Fils se trouve
de nous aider de toutes les façons possibles, puisqu'en notre nom il
a offert au Père cette chose si grande qu'est l'abandon de notre volonté
dans la sienne. Il ne fait cette nouvelle demande que pour " aujourd'hui
" ; le Père nous a déjà donné ce pain très
saint pour toujours, il est à nous ; il nous l'a donné sans que
nous le lui demandions, et nous trouvons, semble-t-il, cette Subsistance, cette
manne de l'humanité comme nous voulons ; s'il n'y a pas faute de notre
part, nous ne mourrons pas de faim car, de quelque manière que l'âme
veuille se nourrir, elle trouvera en lui joie, consolation et subsistance. Il
n'y a pas de privations, d'épreuves ou de persécutions qui ne
soient faciles à supporter si nous commençons à avoir part
aux siennes, à les partager et à en faire le sujet de nos méditations.
Quant à cet autre pain, celui qui soutient et nourrit notre corps, je
me refuse à penser que le Seigneur s'en soit souvenu, et je voudrais
que vous ne vous en souveniez pas non plus. Nous sommes ici à un très
haut degré de contemplation, et celui qui l'a atteint n'a pas plus souvenance
d'être dans le monde que s'il n'y était pas, à plus forte
raison ne songe-t-il pas à manger. Comment penser que le Seigneur aurait
pu tant insister pour demander - pour lui et pour nous - la nourriture corporelle
? Cela ne convient pas à ma manière de voir. Il nous apprend à
mettre nos désirs dans les choses célestes, et à prier
pour que nous commencions à en jouir dès cette terre ; comment
aurait-il pu nous exhorter à nous mêler d'une chose aussi vile
que celle de demander à manger ? Comme s'il ne nous connaissait pas,
et ne savait pas qu'une fois que nous aurions commencé à nous
soucier des besoins de notre corps, nous oublierions ceux de notre âme
! Car nous sommes des personnes de si faible envergure que nous nous contenterons
de peu, et demanderons peu ! au contraire, plus on nous donnera de nourriture,
et plus nous aurons l'impression que même l'eau va nous manquer.
3 Que ceux qui veulent plus que le nécessaire en cette vie demandent
cela, mes filles ! Quant à vous, demandez au Père Éternel
de vous laisser votre Époux aujourd'hui, et de n'en être pas privées
aussi longtemps que vous vivrez. C'est assez qu'il reste caché sous les
apparences du pain ; c'est un grand tourment pour qui n'a pas d'autre amour
ni d'autre consolation que lui. Suppliez-le qu'il ne vous manque pas, et qu'il
vous donne les dispositions voulues pour le recevoir dignement.
4 Quant à l'autre pain, ne vous en préoccupez pas, puisque vous
êtes abandonnées complètement à la volonté
de Dieu (je veux dire : quand vous êtes en oraison et vous occupez alors
de choses plus importantes) ; il y a d'autres moments où la personne
chargée de cette tâche veillera à ce que vous ayez de quoi
manger (je veux dire qu'elle vous donnera ce qu'il y aura) ; ne craignez pas
d'être dans le besoin si vous ne manquez pas à votre promesse,
et si vous vous abandonnez à la volonté de Dieu. Je vous assure,
mes filles, que si je devais maintenant manquer à ceci à cause
de mon peu de vertu, comme je l'ai souvent fait dans le passé, je ne
le supplierais pas de me donner ce pain ou quoi que ce soit d'autre à
manger. Qu'il me laisse mourir de faim ! Pourquoi voudrais-je la vie si, en
vivant, je dois gagner chaque jour davantage - la mort éternelle ?