Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 54
Traite de ces paroles : " Fiat voluntas tua, sicut in coelo et in terra. " Combien il importe de prononcer ces paroles avec résolution.
1 Maintenant que
notre bon Maître a demandé pour nous, et nous a enseigné
à demander un bien d'une si haute valeur qu'il renferme tout ce que nous
pouvons désirer ici-bas, et qu'il nous a fait l'immense faveur de nous
appeler ses frères, voyons ce qu'il veut que nous donnions à son
Père, ce qu'il lui offre pour nous, et ce qu'il demande ; n'est-il pas
juste, en effet, que nous fassions quelque chose en retour de si grandes grâces
? O bon Jésus ! qui donnez si peu de notre part, comment pouvez-vous
demander tant pour nous ? Sans compter qu'en soi, ce peu n'est que néant
en comparaison de ce que nous devons à un si grand Roi ; mais il est
certain, ô mon Seigneur, que vous ne nous laissez pas sans rien, et que
nous donnons tout ce que nous pouvons si nous le donnons, je le répète,
dans l'esprit des mots que nous prononçons :
2 " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. "
Vous avez bien fait, ô bon Maître et Seigneur, de présenter
la demande précédente afin que nous soyons capables d'accomplir
ce que vous promettez en notre nom ; autrement, Seigneur, il semble vraiment
impossible que nous puissions l'accomplir. Mais puisque votre Père nous
donne son royaume ici bas comme vous l'en suppliez, je sais que nous honorerons
votre parole et donnerons ce que vous avez promis pour nous. La terre étant
devenue le ciel, votre volonté pourra s'accomplir en moi. Sans cela,
et en une terre aussi vile et stérile que la mienne, je ne sais, Seigneur,
comment ce serait possible ; c'est une grande chose que vous offrez en notre
nom ! C'est pour cela, mes filles, que je voudrais que vous le compreniez.
3 Quand je pense à cela, je ris des personnes qui disent qu'il n'est
pas bien de demander des épreuves au Seigneur, parce que c'est une preuve
de peu d'humilité. Et j'ai rencontré des âmes si pusillanimes
qu'elles manquent de courage - même sans ce prétexte d'humilité
- pour les lui demander, s'imaginant que Notre-Seigneur va les leur envoyer
aussitôt. Je voudrais leur poser une question : quand elles supplient
le Seigneur que Sa Majesté accomplisse en elles sa volonté, prononcent-
elles ces paroles parce que tout le monde les prononce et sans avoir l'intention
de conformer leurs actes à leurs paroles ? Voilà qui serait très
mal, mes soeurs. Considérez que le bon Jésus se présente
ici comme notre ambassadeur, qu'il a voulu s'interposer entre son Père
et nous, et qu'il ne lui en a pas peu coûté ! ce ne serait donc
pas juste que nous refusions de `donner ce qu'il promet ou offre en notre nom,
ou bien alors, ne faisons pas cette demande.
4 Je veux maintenant vous l'exposer autrement. Considérez, mes soeurs
(que vous le vouliez ou non) que cela se fera, que sa volonté s'accomplira
au ciel et sur la terre ; croyez-moi, suivez mon conseil et faites de nécessité
vertu. O mon Seigneur, quel immense réconfort pour moi que vous n'ayez
pas laissé l'accomplissement de votre volonté à un vouloir
aussi faible que le mien ! Soyez-en béni à jamais, et que toutes
les choses chantent vos louanges ! que votre nom en soit glorifié éternellement
! Je serais dans une piètre situation, Seigneur, s'il avait dépendu
de moi que votre volonté s'accomplisse ou non ! Maintenant je vous donne
librement la mienne 273, bien qu'elle ne soit pas désintéressée,
car une longue expérience m'a montré le gain que je retire à
remettre librement ma volonté dans la vôtre. O mes filles, quel
grand avantage il y a à cela ! ou bien : quelle grande perte, si nous
n'accomplissons pas ce que nous disons au Seigneur dans le Paternoster et ne
lui donnons pas ce que nous lui offrons !
5 Avant de vous parler de ce que vous y gagnerez, je peux vous faire remarquer
la grandeur de ce que vous offrez, afin que vous ne puissiez pas dire qu'il
y a eu méprise, et que vous n'avez pas bien compris. Ne faites pas comme
certaines moniales qui se contentent de promettre ; comme elles ne tiennent
pas leur parole, elles s'excusent en disant qu'au moment de leur profession,
elles n'ont pas compris ce qu'elles promettaient. Je le crois aisément,
car parler est facile, mais mettre en pratique est difficile, et si elles ont
pensé que promettre et tenir n'étaient qu'une même chose,
il est bien certain qu'elles n'ont pas su ce qu'elles faisaient. Faites bien
comprendre ces choses à celles que vous recevrez ici à la profession,
en les soumettant à de longues années de probation. Qu'elles ne
s'imaginent pas que les paroles suffisent ; qu'elles sachent qu'il faut aussi
des oeuvres.
6 Je veux donc que vous réalisiez à qui, comme on dit, vous avez
affaire, et ce que le bon Jésus offre pour vous au Père, et ce
que vous lui donnez quand vous dites que sa volonté s'accomplisse en
vous, car c'est cela et rien d'autre que vous lui demandez. Ne craignez pas
que sa volonté soit de vous donner des richesses, des plaisirs, de grands
honneurs ou tout autre bien de cette terre ; il vous aime trop pour cela, il
estime trop ce que vous lui donnez et il désire vous en récompenser
puisque, même de votre vivant, comme on dit, il vous donne son royaume.
Voulez-vous savoir comment il se comporte envers ceux qui lui demandent du fond
du coeur d'accomplir en eux sa volonté ? Demandez-le à son glorieux
Fils qui lui adressa cette prière au Jardin des oliviers. Comme elle
fut dite avec vérité et un ardent désir d'être exaucée,
voyez comment le Père a parfaitement accompli sa volonté dans
le Fils en lui envoyant souffrances, douleurs, injures et persécutions
; enfin, jusqu'à le laisser mourir sur une croix.