Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 31

Expose une comparaison qui fait quelque peu comprendre ce qu'est la contemplation parfaite.

1 L'eau a trois propriétés qui, maintenant, se présentent à mon esprit et se rapportent à mon sujet (mais elle en a sûrement beaucoup plus). L'une, c'est de rafraîchir. Quelle que soit la chaleur que nous ayons, elle disparaît dès que nous entrons dans une rivière ; l'eau éteint aussi un grand feu, sauf le feu de goudron qu'elle avive, dit-on, davantage. O mon Dieu, quelle merveille ! un feu qui s'enflamme davantage par l'eau, quand il est fort, puissant, non à la merci des éléments ; l'eau - bien que lui étant opposée - loin de l'étouffer, l'active encore. Comme je voudrais être philosophe pour connaître les propriétés des choses et savoir m'expliquer ! il m'est agréable de penser à tout cela, mais je ne sais pas exprimer ce que je conçois, et peut-être ne sais-je pas le comprendre.
2 Quand Dieu, mes soeurs, vous appellera à boire de cette eau - et il y en a parmi vous qui en boivent déjà - vous goûterez ce que je dis, et vous comprendrez comment le véritable amour de Dieu (s'il est dans sa force, s'il est complètement libre des choses de la terre et s'il vole au- dessus d'elle) est maître de tous les éléments et du monde. Et comme l'eau procède de la terre, ne craignez pas qu'elle éteigne ce feu-là ; bien que ces éléments soient opposés, elle n'a pas de pouvoir sur lui ; le feu d'amour est maître absolu, il ne lui est soumis en rien. Vous ne vous étonnerez pas, mes soeurs, si j'ai tant insisté dans ce livre pour que vous vous efforciez d'acquérir cette liberté. N'est-ce pas charmant qu'une pauvre petite nonne de Saint-Joseph puisse parvenir à dominer sur toute la terre et sur les éléments ? Quoi d'étonnant que les saints, avec la grâce de Dieu, en aient fait ce que bon leur semblait ? Saint Martin ? le feu et les eaux lui obéissaient ; saint François ? il commandait aux poissons. Avec l'aide de Dieu, et faisant pour leur part ce qui était en leur pouvoir, ils auraient presque pu le lui demander comme un droit 134. Que pensez-vous que le psalmiste veuille signifier lorsqu'il dit que toutes les choses sont assujetties aux hommes et placées sous leurs pieds ? Vous imaginez-vous qu'il parle de tous les hommes ? N'ayez crainte ! c'est l'inverse : je vois les hommes assujettis aux choses placées sous leurs pieds ; j'ai même connu un homme qui s'est fait tuer alors qu'il soutenait une violente discussion au sujet d'un demi-real : voyez comme il était devenu l'esclave d'une misérable somme ! Vous verrez chaque jour beaucoup d'autres choses qui vous montreront que je dis la vérité. Il est clair que le psalmiste n'a pas pu mentir - ses mots ne sont-ils pas ceux de l'Esprit-Saint ? - et que par conséquent (il se peut pourtant que ce soit moi qui ne comprenne pas et que je dise une bêtise, bien que je l'ai lu) il fait allusion aux hommes parfaits, maîtres de toutes les choses de la terre.
3 Si cette eau vient du ciel, soyez sans crainte : elle ne tuera pas plus ce feu que cette autre eau ne l'avive ; ils ne sont pas opposés, ils sont du même pays ; ne craignez pas que l'un nuise à l'autre ; chacun, au contraire, favorise l'effet de l'autre, car l'eau enflamme davantage le feu et contribue à l'alimenter, et le feu aide l'eau à rafraîchir. O mon Dieu ! comme c'est beau et merveilleux un feu qui rafraîchit ! Eh oui ! un feu qui glace même toutes les affections du monde ! Quand l'eau vive du ciel se joint à lui, ne craignez pas qu'elle lui communique la moindre force pour l'une d'elles.
4 La seconde propriété de l'eau est de purifier les choses qui ne sont pas pures. S'il n'y avait pas d'eau pour laver, que deviendrait le monde ? Savez-vous que cette eau vive, cette eau céleste, cette eau claire (quand rien ne la trouble ou ne la rend fangeuse, quand elle est prise à la source même), purifie tellement qu'il suffit d'en boire une seule fois pour qu'elle laisse, j'en suis certaine, l'âme nette et pure de toute faute. Car, comme je l'ai écrit, si Dieu permet que l'on boive de cette eau (cela ne dépend pas de nous) de contemplation parfaite, d'union vraie, c'est pour purifier l'âme, et la laisser nette et dégagée de la fange où ses fautes l'avaient plongée. D'autres consolations, procurées par l'entremise de l'entendement, pour excellentes qu'elles soient, apportent une eau qui a coulé sur la terre ; on ne la boit pas à la source même, et il ne peut manquer d'y avoir sur son chemin de la fange qui fasse obstacle ; elle n'est donc pas aussi pure, aussi limpide. Le nom d'eau vive, à mon sens tout au moins, ne lui convient pas.
5 La troisième propriété de l'eau est de désaltérer et de faire disparaître la soif ; car la soif, me semble-t-il, est le désir d'une chose dont nous avons tellement besoin que nous mourons si nous en sommes privés. Chose étrange, le manque d'eau nous tue, et sa surabondance nous ôte la vie ; c'est ainsi que meurent beaucoup de noyés. O mon Seigneur ! puissé-je être engloutie dans cette eau vive et y perdre la vie ! Mais ce n'est pas possible. Certes ! le désir qu'on a d'elle est capable de nous ôter la vie, car l'amour et le désir de Dieu peuvent croître à tel point que la nature ne soit plus capable de les supporter ; aussi y a-t-il des personnes qui en sont mortes. J'en connais une à qui ce serait arrivé, si Dieu ne l'avait rapidement secourue avec cette eau vive en si grande abondance qu'elle entrait en extase ; sa soif était si ardente, son désir de Dieu se faisait si intense qu'elle se voyait clairement mourir de soif si on ne lui portait pas secours. Béni soit celui qui nous invite à aller boire à son Évangile !