Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 30
Commence à
traiter de l'oraison. S'adresse aux âmes qui ne peuvent discourir avec
l'entendement.
1 Il y a tant de jours que j'ai écrit ce qui précède, sans
que j'aie eu le loisir de m'y remettre, que si je voulais savoir où j'en
suis, il faudrait me relire. Pour ne pas perdre de temps, je vais dire ce qui
se présentera à mon esprit, sans me préoccuper d'y mettre
de l'ordre. Les personnes qui ont un esprit ordonné, les âmes exercées
et capables d'être face à elles-mêmes, ont à leur
disposition des livres excellents écrits par des gens de talent ; elles
se tromperaient donc en tenant compte de ce que je pourrais dire sur l'oraison
; je le répète, elles ont des livres où sont répartis
pour chaque jour de la semaine les scènes de la sainte Passion, ainsi
que d'autres méditations sur le jugement, l'enfer, notre néant
et les grâces que Dieu nous accorde ; tous contiennent une doctrine excellente
et des indications précises pour le commencement et la fin de l'oraison.
A celles qui peuvent suivre ce mode d'oraison et y sont déjà habituées,
je n'ai rien à dire : par un si bon chemin le Seigneur les conduira au
port de la lumière, et avec de tels débuts, la fin sera excellente.
Tous ceux qui pourront suivre ce chemin marcheront dans la paix et la sécurité,
car l'entendement une fois fixé, on éprouve un sentiment de repos.
2 Mais il est un autre point dont je voudrais parler, afin de proposer un remède,
si Dieu m'accorde d'y réussir (et sinon, je voudrais du moins que vous
compreniez que beaucoup d'âmes passent par cette épreuve, et que
vous ne vous affligiez pas si, au début, vous en traversez, mais au contraire
y puisiez quelque réconfort) ; il y a des âmes et des esprits si
déréglés qu'ils ressemblent à des chevaux emballés
que personne ne peut arrêter : ils vont tantôt par ici, tantôt
par là, dans une agitation continuelle. Et si un cavalier habile monté
sur un tel cheval ne met pas toujours sa vie en danger, cela arrive quelquefois
; en admettant qu'il soit sûr de ne pas exposer sa vie, il ne l'est pas
d'avoir bonne grâce sur sa monture, aussi va-t-il toujours avec beaucoup
de difficulté. J'éprouve la plus vive compassion pour les âmes
qui, soit que cela provienne de leur nature, soit que Dieu le permette ainsi,
procèdent ainsi ; elles me font l'effet de personnes qui ont une grande
soif et voient l'eau de très loin, mais quand elles veulent en approcher,
elles trouvent quelqu'un qui leur barre le chemin à l'entrée,
au milieu et à la fin. Il arrive qu'après avoir vaincu avec beaucoup
de peine - une très grande peine - les premiers ennemis, elles se laissent
vaincre par les seconds, et préfèrent mourir de soif plutôt
que de boire une eau qui doit leur coûter si cher. L'énergie leur
manque, le courage les abandonne. Si quelques-unes en ont assez pour vaincre
les seconds ennemis, la force leur fait défaut devant les troisièmes
; et peut-être n'étaient-elles qu'à deux pas de la source
d'eau vive dont le Seigneur a dit à la Samaritaine que " celui qui
en boira n'aura plus jamais soif ". Oh ! comme ces paroles sont justes
et vraies - ne sortent-elles pas de la bouche de la Vérité même
? - car l'âme qui boit de cette eau n'a plus jamais soif des choses de
cette vie 130 ! (quoique sa soif pour les choses de l'autre vie croisse bien
au-delà de ce que la soif naturelle nous permet d'imaginer). Mais comme
l'âme désire brûler de cette soif ! C'est qu'elle en comprend
tout le prix, car pour terrible et épuisante que soit cette soif, elle
apporte avec elle un soulagement qui l'apaise, de sorte qu'elle éteint
seulement le désir des choses terrestres ; elle rassasie l'âme,
et lorsque Dieu étanche cette soif, la plus grande grâce qu'il
puisse faire à l'âme, c'est de la laisser encore tout altérée
; ainsi, elle éprouve un désir toujours plus grand de redemander
de cette eau.