Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 26
Comment il est
parfois possible que Dieu élève une âme distraite à
la contemplation parfaite, et quelle en est la raison. Ce chapitre est très
important.
1 Donc, quand le Seigneur le veut, il ramène une âme à lui
et - bien qu'elle ne possède pas encore ces vertus - il lui accorde parfois
la grâce de la contemplation ; ceci, rarement, et pour peu de temps ;
il agit ainsi, je le répète, afin d'éprouver si, grâce
à cette faveur, les âmes voudront se disposer à jouir de
sa présence. Mais si elles ne le font pas, qu'elles me pardonnent (ou
plutôt vous, Seigneur, pardonnez-nous) car il est très regrettable
que vous vous approchiez ainsi d'une âme, et qu'elle se tourne ensuite
vers les choses de la terre pour s'y attacher.
2 Je suis persuadée qu'il y en a beaucoup que Dieu, Notre Seigneur, éprouve
de cette manière, et qu'il y en a peu qui se disposent à jouir
toujours de cette faveur ; car lorsque le Seigneur l'accorde, et que de notre
côté nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, je tiens pour
certain qu'il ne cesse pas de nous donner jusqu'à ce qu'il nous ait élevées
à un très haut degré. Si nous ne nous donnons pas à
Sa Majesté aussi résolument qu'Elle se donne à nous, Elle
nous accorde déjà une grande grâce en nous laissant dans
l'oraison mentale et en nous rendant visite de temps en temps - comme à
des ouvriers de sa vigne - ; quant aux autres, ce sont des enfants chéris
que le Seigneur voudrait toujours avoir à ses côtés, et
il ne s'en éloigne pas parce qu'eux-mêmes ne veulent plus se séparer
de lui ; il les fait asseoir à sa table, il partage avec eux sa nourriture
et va jusqu'à ôter de morceau de sa bouche pour le leur donner.
3 O bienheureuse sollicitude, mes filles ! ô bienheureux abandon de choses
si viles et si vaines qui nous élève à un si haut état
! Et de fait, une fois dans les bras de Dieu, que vous importera que le monde
entier vous condamne et même vous assourdisse de ses cris 113 ? Le Seigneur
n'a eu qu'à commander - ou qu'à penser - une seule fois que le
monde fût, et le monde a été fait. Pour lui, vouloir, c'est
faire. Ne craignez donc pas qu'il consente à ce qu'on parle mal de vous,
moins que ce ne soit pour votre plus grand bien ; il n'aime pas si peu ceux
dont il est aimé. Il montre son amour par tous les moyens possibles 114
Eh bien, mes filles, pourquoi ne lui montrerions-nous pas le nôtre autant
qu'il dépend de nous ? Voyez quel bel échange : son amour en retour
du nôtre ! Sachez qu'il peut tout et que nous, ici-bas, nous ne pouvons
que ce qu'il nous accorde de pouvoir. Or, que faisons-nous, pour vous, ô
Seigneur qui nous avez créés ? Pratiquement rien : nous prenons
une pauvre petite résolution. Mais si Sa Majesté veut qu'avec
ce qui n'est rien nous méritions le tout, ne nous montrons pas insensées.
4 O Seigneur ! tout notre mal vient de ce que nous n'avons pas les yeux fixés
sur vous, car si nous ne regardions que le chemin nous arriverions rapidement
; mais nous faisons mille chutes, mille faux pas, et nous perdons le chemin
parce que nous ne fixons pas notre regard sur le vrai chemin. On dirait que
ce chemin n'a jamais été parcouru, tant il nous semble nouveau.
C'est chose déplorable en vérité ; je dis que nous ne semblons
pas être chrétiens, ni ne paraissons avoir lu de toute notre vie
le récit de la Passion. Grand Dieu ! Vient-on à chatouiller notre
point d'honneur ? C'est celui qui nous dira de ne pas y prêter attention
qui passera pour non chrétien. J'ai ri bien souvent, ou plutôt
je me suis affligée de ce que j'ai pu voir dans le monde et même,
pour mes péchés, dans les Ordres religieux : nous montre-t-on
un peu moins d'estime ? nous ne le supportons pas ; nous disons aussitôt
que nous ne sommes pas des saints ; tout au moins, moi, je le disais.
5 Dieu nous préserve, mes filles, quand nous ferons quelque chose d'imparfait,
de dire : " nous ne sommes pas des anges ", " nous ne sommes
pas des saintes " ! Considérez, bien que nous ne le soyons pas,
comme il est bon pour nous de penser que, si nous faisons des efforts, Dieu
nous aidera à le devenir ; ne craignez pas qu'il nous manque si, de notre
côté, nous faisons ce que nous pouvons ; et puisque nous ne sommes
venues ici que dans ce but : la main à l'oeuvre, comme on dit ! qu'il
n'y ait rien où nous ne pensions pouvoir servir davantage le Seigneur
que nous ne présumions, avec son aide, de mener à terme. Voilà
la présomption que je voudrais voir dans cette maison ; elle fait croître
l'humilité : nous devons toujours être téméraires,
car Dieu aide les forts et il ne fait pas acception des personnes 116 ; et à
vous et à moi, il donnera du courage.
6 Je me suis beaucoup éloignée de mon sujet ; je veux revenir
à ce que je disais, c'est-à-dire, je crois, à l'explication
de l'oraison mentale et de la contemplation. Cela peut sembler impertinent,
mais avec vous tout m'est permis, et peut-être comprendrez-vous mieux
mon style grossier que le langage élégant d'autres personnes.