Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 70

Parle de l'amour de Dieu.

1 Pensez-vous, mes filles, qu'il importe peu au démon de jeter le doute sur ce point ? Il y gagne beaucoup, car il cause deux préjudices bien connus, sans parler des autres ; en premier lieu, il remplit de craintes les âmes qui désirent faire oraison, car elles ont peur d'être trompées à leur tour ; en second lieu, il en dissuade un grand nombre de s'approcher davantage de Dieu ; en effet, il y a de nombreuses âmes qui, croyant que Dieu, dans son immense bonté, se communique si intimement à une personne misérable, pensent qu'il fera la même chose avec elles, et elles ont raison. J'en connais même quelques-unes qui devinrent de vraies âmes de prière, et à qui Dieu, en très peu de temps, accorda de grandes faveurs.
2 Ainsi donc, mes soeurs, quand vous reconnaîtrez cet amour chez l'une d'entre vous, louez Dieu et remerciez-le, mais ne croyez pas pour autant que cette soeur soit en sécurité ; au contraire, aidez-la en priant davantage pour elle, car personne ne peut être en sécurité tant qu'il vit ici-bas plongé dans les périls de cette mer sur laquelle nous naviguons ; mais, je le répète, on reconnaît tout de suite cet amour, là où il se trouve. Puisque nous sommes impuissants à cacher l'amour qu'un malheureux homme éprouve pour une pauvre femme - et qu'au contraire, plus on cherche à le dissimuler plus il saute aux yeux, et pourtant c'est un amour qui n'a pour objet qu'un ver de terre, un amour qui ne mérite pas ce nom, qui ne se fonde sur rien, et il me répugne même de faire cette comparaison -, comment pourrait-on cacher un amour aussi fort que celui de Dieu, un amour qui repose sur de telles fondations, qui a tant à aimer et tant de raisons d'aimer ? Enfin, c'est vraiment de l'amour, il mérite ce nom, et les vanités de ce monde lui ont usurpé son nom. O mon Dieu ! que ces deux amours doivent paraître différents à qui les a éprouvés l'un et l'autre !
3 Daigne Sa Majesté nous donner à goûter l'amour divin avant de nous retirer de cette vie, car à l'heure de la mort (quand nous partons pour une destination inconnue), ce sera pour nous une chose inestimable d'avoir aimé par-dessus tout, aimé avec une passion capable de nous conduire au dépassement de nous-mêmes, ce Seigneur qui va nous juger. Nous pourrons comparaître confiants devant son tribunal pour la remise de nos dettes ; ce ne sera pas aller en terre étrangère, mais en notre propre pays puisque c'est le pays de celui que nous aimons tant. Et parmi les nombreuses qualités de cet amour divin se trouve celle de surpasser les affections d'ici-bas : si nous l'aimons, nous sommes assurées qu'il nous aime. O mes filles ! considérez ici quels avantages cet amour apporte avec lui, et quelle perte il y a à en être privées, car nous sommes alors livrées aux mains du tentateur, mains si cruelles, mains si ennemies de tout bien et si amies de tout mal.
4 Qu'en sera-t-il de la pauvre âme qui, au sortir de douleurs et d'angoisses aussi terribles que celles de la mort, tombera aussitôt dans de telles mains ? Misérable sera son repos, misérable ! elle tombera toute déchirée en enfer. Quelle multitude de serpents de toute espèce ! quel lieu effroyable ! quelle demeure de malédiction ! Si une nuit passée dans une mauvaise auberge n'est pas tolérable pour des personnes aimant leurs aises - et ce sont celles-là surtout qui doivent peupler l'enfer -, comment supporteront-elles pour toujours, toujours, cette auberge éternelle ? Qu'éprouvera, dites-moi, cette âme infortunée ? Ne cherchons pas nos aises, mes filles, nous sommes bien ici ; ce n'est qu'une nuit à passer dans une mauvaise auberge. Louons Dieu, et ayons toujours soin de le supplier qu'il nous tienne par la main, nous et tous les pécheurs, et qu'il ne nous laisse pas succomber à ces tentations déguisées.