Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
CHAPITRE 20
Combien il importe que toutes celles dont l'esprit va à l'encontre de ce qui été dit ne soient vidas admises à faire profession.
1 Comme vous n'acceptez
pas de dot, vous êtes, par la grâce de Dieu, libres de congédier
les sujets ; ce qui me navre, ce sont les monastères qui, très
souvent pour ne pas rendre l'argent ou par crainte de flétrir l'honneur
de la famille, gardent le voleur qui dérobe leur trésor. Dans
cette maison vous avez déjà risqué et perdu l'honneur du
monde, car les pauvres ne sont pas honorés. Ne désirez donc pas
que les autres le soient à vos dépens. Notre honneur, mes soeurs,
doit consister à servir Dieu, et celle qui songerait à vous entraver
sur ce point peut rester chez elle avec son honneur. C'est pour cela que nos
Pères ordonnèrent une année de probation et, dans notre
Ordre, nous sommes libres de n'accorder la profession qu'au bout de quatre ans.
Personnellement, j'aimerais qu'on attendît dix ans. Une religieuse humble
se souciera peu de n'être pas professe, car elle sait qu'on ne la renverra
pas si sa conduite est bonne ; et si elle est mauvaise, pourquoi voudrait-elle
nuire aux disciples du Christ réunies en cette maison ? Par " conduite
mauvaise ", je ne veux pas dire être portée aux vanités
car, avec l'aide de Dieu, je crois que ce défaut ne s'infiltrera jamais
dans cette maison ; par " conduite mauvaise ", je veux dire n'être
pas mortifiée, être attachée aux choses du monde ou à
soi-même sur les points que j'ai signalés. Que celle qui ne verra
pas en elle un grand esprit de mortification suive mon conseil et ne fasse pas
profession [Ici reprend le Ms V après suppression de ce premier paragraphe.
Le thème de la dot reviendra cependant un peu plus loin dans ce Ms V],
si elle ne veut pas trouver un enfer ici-bas 95, et plaise à Dieu qu'elle
n'en trouve pas un autre dans l'au-delà, car bien des choses en elle
le font craindre ; et pas plus celles qui vivent dans le monastère qu'elle-même
ne le comprendront sans doute comme je le comprends.
Croyez ce que je vous dis - et sinon je prends le temps à témoin
- car le genre de vie que nous voulons mener n'est pas seulement celui de religieuses,
mais celui d'ermites ; détachez-vous donc de toutes les choses créées.
Je vois qu'Il accorde cette grâce à toutes celles qu'Il a tout
particulièrement choisies pour cette maison. Leur détachement
n'a peut-être pas encore atteint toute la perfection possible, mais au
grand contentement et à la joie qu'elles éprouvent à l'idée
de ne plus avoir à s'occuper des choses de cette vie, il est clair qu'elles
y tendent.
2 Je le dis encore : si quelqu'une a de l'inclination pour le commerce du monde,
si elle voit qu'elle ne fait pas de progrès, qu'elle s'efforce de prendre
congé de ses compagnes et qu'elle aille dans un autre monastère
; sinon, elle verra ce qui lui arrivera, et qu'elle ne se plaigne pas à
moi- fondatrice de ce monastère - de ne pas l'avoir prévenue.
Cette maison est un ciel, si tant est qu'il en existe un sur terre, pour celle
qui ne fait aucun cas de son propre contentement, et dont tout le plaisir est
de contenter Dieu ; on y mène une vie très agréable. Mais
si on désire quelque chose de plus, on perdra tout car il est impossible
de l'obtenir ; et une âme mécontente est comme une personne qui
souffre d'un grand dégoût : les mets, si bons soient-ils, l'écoeurent
; et les aliments que les bien-portants mangent avec grand plaisir lui donnent
des nausées. Ces personnes feront mieux leur salut ailleurs, ou dans
un monastère moins austère ; peut-être même y atteindront-elles
peu à peu la perfection qu'elles n'ont pu supporter ici, où l'on
exigeait tout d'un coup. Certes, l'on accorde du temps pour que l'intérieur
soit totalement détaché et mortifié, mais l'extérieur
doit l'être très vite à cause du préjudice qui peut
en résulter pour les autres ; et si celle qui voit ce que font les autres
se trouve toujours en si excellente compagnie et ne progresse pas en un an ou
en six mois, je crains qu'elle n'avance pas davantage en plusieurs années,
et qu'au contraire elle ne recule. Je ne dis pas qu'elle doive être aussi
parfaite que les autres, mais encore faut-il comprendre que son âme se
fortifie peu à peu, et d'ailleurs si le mal est mortel, on le voit tout
de suite.