Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73

CHAPITRE 8

Traite encore des confesseurs : indique combien il importe qu'ils soient savants, et donne des conseils sur les rapports à établir avec eux.
1 Daigne le Seigneur - au nom de son amour - n'envoyer à personne de cette maison l'épreuve de se voir affligée dans son âme et dans son corps, ou de voir la Supérieure en si bons termes avec le confesseur que nulle n'ose rien dire à celui-ci de celle-là ni à celle-là de celui-ci. C'est ainsi que naît la tentation de ne pas confesser des péchés très graves parce que les malheureuses ont peur, ne se sentant pas en terrain sûr. O Dieu ! combien d'âmes le démon doit attraper de cette façon, et comme cette misérable pusillanimité et ce point d'honneur coûtent cher aux religieuses ! Si elles n'ont qu'un seul confesseur en effet, elles pensent agir dans l'intérêt de l'ordre et contribuer à une plus grande gloire du monastère ; or, c'est justement la voie que choisit le démon pour attraper des âmes quand il n'y parvient pas par une autre. Ces infortunées demandent-elles un autre confesseur ? aussitôt on donne pour perdue toute l'harmonie de la vie monastique ; ce confesseur est-il étranger à leur Ordre ? serait-il un saint Jérôme qu'un affront est fait à l'ordre tout entier !
2 Louez Dieu sans cesse, mes filles, pour cette liberté que vous avez, car, bien que vous ne puissiez consulter beaucoup de confesseurs, vous pourrez en trouver quelques-uns, capables de vous éclairer sur tout, autres que vos confesseurs habituels ; je demande, pour l'amour de Dieu, à celle qui sera Supérieure d'essayer toujours d'en consulter un qui soit savant, et que ses nonnes fassent de même. Dieu les préserve, pour spirituel que quelqu'un leur paraisse et le soit en vérité, de n'être gouvernées entièrement que par lui, s'il n'est pas savant ; plus le Seigneur vous accordera de faveurs dans l'oraison, plus vos dévotions, vos prières et toutes vos oeuvres devront être solidement fondées.
3 Vous le savez déjà, la première pierre de l'édifice est : avoir une bonne conscience, se libérer de toutes ses forces des péchés véniels, et suivre la plus grande perfection possible. Il vous semblera que tout confesseur sait cela. Eh bien, vous vous trompez beaucoup ; j'en ai consulté un qui avait suivi tout le cours de théologie, et il me fit beaucoup de mal en me laissant entendre que certaines choses n'étaient pas mauvaises. Je sais qu'il n'avait pas l'intention de me tromper - il n'en avait aucun motif, mais il n'en savait pas davantage.
4 Avoir la vraie lumière pour garder la loi de Dieu et la perfection, c'est tout notre bien. C'est sur cette base que s'assoit l'oraison ; sans cette fondation solide, tout l'édifice porte à faux. Vous devez donc consulter des personnes spirituelles et savantes. Si vous ne pouvez trouver un confesseur qui ait ces deux qualités, de temps en temps, cherchez-en d'autres ; et si jamais on vous ordonne de ne vous confesser qu'à un seul, sans confession communiquez votre âme à des personnes comme celles dont je parle. Et j'ose dire plus : alors même que le confesseur aurait toutes ces qualités, faites parfois ce que je viens de vous conseiller, car il peut se tromper, et il est souhaitable que vous ne vous trompiez pas toutes à cause de lui - mais veillez à ne pas aller contre l'obéissance, il y a pour tout des moyens légitimes -, une âme a trop de valeur pour ne pas essayer par tous les moyens possibles d'assurer son bien, à plus forte raison celui de nombreuses âmes.
5 Tout ce que je viens de dire s'adresse à la Supérieure ; qu'elle essaie, pour l'amour de Dieu, de ne pas désoler ses nonnes sur ce point puisqu'on ne recherche ici d'autre consolation que celle de l'âme. Dieu mène les âmes par des voies différentes, et un confesseur ne les connaît pas forcément toutes ; que la Supérieure s'efforce donc de les consoler en les mettant en rapport avec des personnes semblables. Elle n'a pas de crainte à avoir, celles-ci ne feront pas défaut si les religieuses sont ce qu'elles doivent être, même si elles sont pauvres. Dieu qui soutient et nourrit leur corps - et c'est le moins important - mettra sur leur chemin des personnes fort désireuses d'éclairer leur âme, et ainsi, il sera porté remède au mal dont j'ai parlé et que je redoute le plus. Le confesseur est-il tenté par le démon de tomber dans quelque vanité, s'il sait que vous en consultez d'autres, il se réfrénera ; cette porte une fois fermée au démon, j'espère en Dieu qu'il n'en trouvera pas d'autres pour entrer dans cette maison. Je demande donc, pour l'amour de Notre-Seigneur, à l'évêque 53 en charge de laisser aux soeurs cette liberté ; il pourra alors être sûr, Dieu aidant, d'avoir de bons sujets ; qu'il ne les empoche jamais, quand les confesseurs seront des hommes instruits et vertueux (cela se voit tout de suite dans une ville si petite), qu'il ne les empêche pas, dis-je, de se confesser à eux de temps en temps et de leur parler de leur oraison, même si elles ont déjà d'autres confesseurs ; pour de nombreux motifs je sais que c'est une bonne chose, et que l'inconvénient qui pourrait en survenir est nul en comparaison du mal immense caché et presque irrémédiable, pour ainsi dire, qui résulterait de la décision contraire ; car voici ce qui caractérise les monastères : le bien y disparaît vite si on ne l'y préserve soigneusement ; et le mal, dés qu'il commence à s'installer, est extrêmement difficile à arracher car les imperfections deviennent très rapidement habitude et chose naturelle.
6 Ce que j'écris ici, je l'ai vu et compris dans de nombreux monastères, et j'en ai parlé à des personnes prudentes et spirituelles, pour voir ce qui convenait le mieux à cette maison afin que la perfection y aille croissant ; et de tous les dangers - il en existe partout en cette vie - nous avons trouvé que le moindre était d'agir ainsi : jamais un Supérieur ne doit entrer ou sortir à son gré et donner des ordres, aucun confesseur ne doit commander, mais ils doivent veiller à la tenue de la maison et à son recueillement intérieur et extérieur afin d'aviser le Supérieur s'il y avait relâchement ; mais eux-mêmes ne doivent pas être Supérieurs. Je le répète, toutes choses considérées, d'excellents motifs ont montré que cette dernière solution était la meilleure ; qu'un confesseur confesse régulièrement, que ce soit le chapelain lui-même, s'il en a les qualités requises ; mais, si le besoin se fait sentir dans une âme, que les soeurs puissent se confesser à des personnes comme celles dont je viens de parler ; elles seront nommées par le Supérieur ; ou bien, si la Mère prieure est telle que l'évêque en charge s'en remette à elle, qu'elle décide elle-même ; comme les religieuses sont peu nombreuses, elles ne prendront pas beaucoup de temps. Ainsi en a-t-il été décidé, après maintes prières d'un grand nombre de gens et de moi-même, toute misérable que je suis, par des hommes remarquables par leur science, leur jugement et leur oraison ; j'espère donc de la grâce du Seigneur que tout est pour le mieux.
7 Ainsi en a-t-il paru à notre présent évêque Don Alvaro de Mendoza, homme désireux de favoriser le bien spirituel et temporel de cette maison ; il examina les choses de très près, car il souhaite que l'esprit de perfection qui règne ici ne cesse de croître ; je ne pense donc pas que Dieu le laissera s'égarer puisqu'il est à Sa place et ne recherche que Sa plus grande gloire. Il me semble qu'avec la grâce de Notre-Seigneur, les futurs Supérieurs ne voudront pas aller à l'encontre d'une chose si dûment pesée et dont, pour maintes raisons, l'importance est si grande.