Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 8
Traite encore
des confesseurs : indique combien il importe qu'ils soient savants, et donne
des conseils sur les rapports à établir avec eux.
1 Daigne le Seigneur - au nom de son amour - n'envoyer à personne de
cette maison l'épreuve de se voir affligée dans son âme
et dans son corps, ou de voir la Supérieure en si bons termes avec le
confesseur que nulle n'ose rien dire à celui-ci de celle-là ni
à celle-là de celui-ci. C'est ainsi que naît la tentation
de ne pas confesser des péchés très graves parce que les
malheureuses ont peur, ne se sentant pas en terrain sûr. O Dieu ! combien
d'âmes le démon doit attraper de cette façon, et comme cette
misérable pusillanimité et ce point d'honneur coûtent cher
aux religieuses ! Si elles n'ont qu'un seul confesseur en effet, elles pensent
agir dans l'intérêt de l'ordre et contribuer à une plus
grande gloire du monastère ; or, c'est justement la voie que choisit
le démon pour attraper des âmes quand il n'y parvient pas par une
autre. Ces infortunées demandent-elles un autre confesseur ? aussitôt
on donne pour perdue toute l'harmonie de la vie monastique ; ce confesseur est-il
étranger à leur Ordre ? serait-il un saint Jérôme
qu'un affront est fait à l'ordre tout entier !
2 Louez Dieu sans cesse, mes filles, pour cette liberté que vous avez,
car, bien que vous ne puissiez consulter beaucoup de confesseurs, vous pourrez
en trouver quelques-uns, capables de vous éclairer sur tout, autres que
vos confesseurs habituels ; je demande, pour l'amour de Dieu, à celle
qui sera Supérieure d'essayer toujours d'en consulter un qui soit savant,
et que ses nonnes fassent de même. Dieu les préserve, pour spirituel
que quelqu'un leur paraisse et le soit en vérité, de n'être
gouvernées entièrement que par lui, s'il n'est pas savant ; plus
le Seigneur vous accordera de faveurs dans l'oraison, plus vos dévotions,
vos prières et toutes vos oeuvres devront être solidement fondées.
3 Vous le savez déjà, la première pierre de l'édifice
est : avoir une bonne conscience, se libérer de toutes ses forces des
péchés véniels, et suivre la plus grande perfection possible.
Il vous semblera que tout confesseur sait cela. Eh bien, vous vous trompez beaucoup
; j'en ai consulté un qui avait suivi tout le cours de théologie,
et il me fit beaucoup de mal en me laissant entendre que certaines choses n'étaient
pas mauvaises. Je sais qu'il n'avait pas l'intention de me tromper - il n'en
avait aucun motif, mais il n'en savait pas davantage.
4 Avoir la vraie lumière pour garder la loi de Dieu et la perfection,
c'est tout notre bien. C'est sur cette base que s'assoit l'oraison ; sans cette
fondation solide, tout l'édifice porte à faux. Vous devez donc
consulter des personnes spirituelles et savantes. Si vous ne pouvez trouver
un confesseur qui ait ces deux qualités, de temps en temps, cherchez-en
d'autres ; et si jamais on vous ordonne de ne vous confesser qu'à un
seul, sans confession communiquez votre âme à des personnes comme
celles dont je parle. Et j'ose dire plus : alors même que le confesseur
aurait toutes ces qualités, faites parfois ce que je viens de vous conseiller,
car il peut se tromper, et il est souhaitable que vous ne vous trompiez pas
toutes à cause de lui - mais veillez à ne pas aller contre l'obéissance,
il y a pour tout des moyens légitimes -, une âme a trop de valeur
pour ne pas essayer par tous les moyens possibles d'assurer son bien, à
plus forte raison celui de nombreuses âmes.
5 Tout ce que je viens de dire s'adresse à la Supérieure ; qu'elle
essaie, pour l'amour de Dieu, de ne pas désoler ses nonnes sur ce point
puisqu'on ne recherche ici d'autre consolation que celle de l'âme. Dieu
mène les âmes par des voies différentes, et un confesseur
ne les connaît pas forcément toutes ; que la Supérieure
s'efforce donc de les consoler en les mettant en rapport avec des personnes
semblables. Elle n'a pas de crainte à avoir, celles-ci ne feront pas
défaut si les religieuses sont ce qu'elles doivent être, même
si elles sont pauvres. Dieu qui soutient et nourrit leur corps - et c'est le
moins important - mettra sur leur chemin des personnes fort désireuses
d'éclairer leur âme, et ainsi, il sera porté remède
au mal dont j'ai parlé et que je redoute le plus. Le confesseur est-il
tenté par le démon de tomber dans quelque vanité, s'il
sait que vous en consultez d'autres, il se réfrénera ; cette porte
une fois fermée au démon, j'espère en Dieu qu'il n'en trouvera
pas d'autres pour entrer dans cette maison. Je demande donc, pour l'amour de
Notre-Seigneur, à l'évêque 53 en charge de laisser aux soeurs
cette liberté ; il pourra alors être sûr, Dieu aidant, d'avoir
de bons sujets ; qu'il ne les empoche jamais, quand les confesseurs seront des
hommes instruits et vertueux (cela se voit tout de suite dans une ville si petite),
qu'il ne les empêche pas, dis-je, de se confesser à eux de temps
en temps et de leur parler de leur oraison, même si elles ont déjà
d'autres confesseurs ; pour de nombreux motifs je sais que c'est une bonne chose,
et que l'inconvénient qui pourrait en survenir est nul en comparaison
du mal immense caché et presque irrémédiable, pour ainsi
dire, qui résulterait de la décision contraire ; car voici ce
qui caractérise les monastères : le bien y disparaît vite
si on ne l'y préserve soigneusement ; et le mal, dés qu'il commence
à s'installer, est extrêmement difficile à arracher car
les imperfections deviennent très rapidement habitude et chose naturelle.
6 Ce que j'écris ici, je l'ai vu et compris dans de nombreux monastères,
et j'en ai parlé à des personnes prudentes et spirituelles, pour
voir ce qui convenait le mieux à cette maison afin que la perfection
y aille croissant ; et de tous les dangers - il en existe partout en cette vie
- nous avons trouvé que le moindre était d'agir ainsi : jamais
un Supérieur ne doit entrer ou sortir à son gré et donner
des ordres, aucun confesseur ne doit commander, mais ils doivent veiller à
la tenue de la maison et à son recueillement intérieur et extérieur
afin d'aviser le Supérieur s'il y avait relâchement ; mais eux-mêmes
ne doivent pas être Supérieurs. Je le répète, toutes
choses considérées, d'excellents motifs ont montré que
cette dernière solution était la meilleure ; qu'un confesseur
confesse régulièrement, que ce soit le chapelain lui-même,
s'il en a les qualités requises ; mais, si le besoin se fait sentir dans
une âme, que les soeurs puissent se confesser à des personnes comme
celles dont je viens de parler ; elles seront nommées par le Supérieur
; ou bien, si la Mère prieure est telle que l'évêque en
charge s'en remette à elle, qu'elle décide elle-même ; comme
les religieuses sont peu nombreuses, elles ne prendront pas beaucoup de temps.
Ainsi en a-t-il été décidé, après maintes
prières d'un grand nombre de gens et de moi-même, toute misérable
que je suis, par des hommes remarquables par leur science, leur jugement et
leur oraison ; j'espère donc de la grâce du Seigneur que tout est
pour le mieux.
7 Ainsi en a-t-il paru à notre présent évêque Don
Alvaro de Mendoza, homme désireux de favoriser le bien spirituel et temporel
de cette maison ; il examina les choses de très près, car il souhaite
que l'esprit de perfection qui règne ici ne cesse de croître ;
je ne pense donc pas que Dieu le laissera s'égarer puisqu'il est à
Sa place et ne recherche que Sa plus grande gloire. Il me semble qu'avec la
grâce de Notre-Seigneur, les futurs Supérieurs ne voudront pas
aller à l'encontre d'une chose si dûment pesée et dont,
pour maintes raisons, l'importance est si grande.