Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 42
Comment il faut recueillir son esprit, et les moyens qu'il y a pour y parvenir. Ce chapitre est très utile pour ceux qui commencent à faire oraison.
1 Revenons maintenant
à notre prière vocale, et apprenons à si bien la réciter
que, sans nous en rendre compte, nous recevions de Dieu les deux sortes d'oraison
à la fois. Je vous le répète, pour prier comme il faut,
vous devez, vous le savez, commencer par examiner votre conscience, récitez
le Confiteor et faire le signe de la croix. Ensuite, et puisque vous êtes
seules, essayez, mes filles, de trouver une compagnie. Mais quelle meilleure
compagnie que celle du Maître lui-même qui vous a enseigné
la prière que vous allez réciter ? Imaginez que le Seigneur est
tout prés de vous, et regardez avec quel amour et avec quelle humilité
il vous instruit. Croyez-moi, faites tout votre possible pour ne jamais vous
séparer d'un si bon ami. Si vous vous habituez à le garder près
de vous 194, et s'il voit que vous le faites avec amour et que vous vous efforcez
de le contenter, vous ne pourrez plus, comme on dit, vous en débarrasser
; il ne vous manquera jamais, il vous aidera dans toutes vos difficultés,
il sera partout avec vous. Pensez-vous que ce soit peu de chose que d'avoir
un tel ami à vos côtés ?
2 O âmes qui ne pouvez discourir beaucoup avec 1'entendement ni fixer
votre pensée sur Dieu sans être aussitôt distraites, prenez,
prenez cette habitude ! n'oubliez pas que je sais que vous le pouvez, car j'ai
moi-même, pendant de longues années, endurées cette épreuve
de ne pouvoir arrêter mon esprit sur une chose - et c'est une rude épreuve
- ; mais je sais aussi que le Seigneur ne nous laisse pas dans un tel abandon
qu'il ne nous tienne compagnie si nous nous approchons humblement de lui ; et
si nous n'y parvenons pas en un an, que ce soit en plusieurs ! Je veux dire
qu'il est possible de s'accoutumer à marcher aux côtés de
ce véritable Maître.
3 Je ne vous demande pas de penser à lui, ni de forger quantité
de concepts ou de tirer de votre esprit de hautes et subtiles considérations
; je ne vous demande que de fixer sur lui votre regard 196. Qui peut vous empêcher
de tourner les yeux de l'âme - ne serait- ce qu'un instant si vous ne
pouvez davantage - vers lui ? Puisque vous pouvez regarder des choses très
laides et répugnantes, ne pourrez-vous regarder la chose la plus belle
qu'on puisse imaginer ? S'il vous déplaît, je vous donne la permission
de ne plus le regarder 197. Mes filles, votre Époux ne vous quitte jamais
des yeux ; il a supporté de votre part mille choses laides et abominables,
et ces offenses contre lui n'ont pas suffi pour qu'il détournât
de vous ses regards. Est-ce donc beaucoup que vous détourniez les yeux
de l'âme des choses extérieures pour les porter quelquefois sur
lui ? Songez, comme il le dit à l'Épouse, qu'il n'attend de vous
qu'un regard ; vous le trouverez tel que vous le désirerez. Il estime
tant ce regard que, de son côté, il ne négligera rien pour
l'avoir.
4 Voici, dit-on, ce que doit faire la femme qui veut vivre en bonne harmonie
avec son mari ; s'il est triste, elle doit se montrer triste, et s'il est joyeux,
elle doit apparaître joyeuse même si elle ne sent en elle aucune
gaîté ; c'est là, en toute vérité et sans
aucune feinte, la conduite du Seigneur à notre égard. Il se fait
votre sujet, et il veut que vous soyez les souveraines ; il se soumet à
votre volonté. Si vous êtes joyeuse, contemplez-le ressuscité
: rien qu'à l'imaginer sortir du sépulcre, vous serez remplies
d'allégresse. Quelle clarté, quelle beauté, quelle majesté
! quel air de victoire et de jubilation ! Il est sorti glorieux du champ de
bataille où il a gagné un immense royaume qu'il veut tout entier
vous offrir, en même temps qu'il se donne lui-même à vous.
Est-ce donc beaucoup que vous éleviez parfois les yeux vers celui qui
vous fait un tel don ?
5 Si vous êtes dans l'épreuve ou la tristesse, regardez-le attaché
à la colonne, accablé de douleurs, toutes ses chairs mises en
lambeaux tant est grand l'amour qu'il a pour vous, persécuté par
les uns, couvert de crachats par les autres, renié par d'autres encore,
sans amis, sans personne qui prenne sa défense, transi de froid, si totalement
abandonné que vous pouvez vous consoler l'un l'autre. Regardez-le encore,
au jardin des Oliviers, ou sur la croix, ou bien quand il fléchissait
sous son poids et ne pouvait pas même reprendre haleine ; il tournera
vers vous ses yeux si beaux, si compatissants, tout remplis de larmes, et il
oubliera ses souffrances pour vous consoler des vôtres, uniquement parce
que vous allez chercher consolation près de lui et que vous tournez la
tête pour le regarder.
6 O Seigneur du monde et mon véritable Époux ! (Pouvez-vous lui
dire si votre coeur s'attendrit en le voyant dans un tel état, et que
non seulement vous voulez le regarder mais vous vous réjouissez de parler
avec lui, non certes, pour lui adresser des prières toutes faites, mais
pour lui dire la peine de votre coeur, ce qu'il apprécie au plus haut
point.) Êtes-vous, mon Seigneur et mon Bien, réduit à une
telle extrémité que vous trouviez bon d'accepter ma pauvre compagnie
? et je vois, à l'expression de votre visage, que vous avez oublié
vos peines en me voyant près de vous. Mais comment, Seigneur, est-il
possible que les Anges vous laissent seul, et que votre Père ne vous
console pas ? S'il en est ainsi, Seigneur, et si vous voulez souffrir tout cela
pour moi, puis-je appeler souffrance ce que je supporte ? de quoi ai-je à
me plaindre ? je me sens toute honteuse de vous avoir vu dans cet état,
et je suis préparée, mon Bien, à endurer toutes les épreuves
qui pourront m'arriver, et à les considérer comme une grande richesse
puisqu'elles me permettent de vous ressembler en quelque chose. Marchons ensemble,
Seigneur, je veux aller par où vous êtes allé ; je veux
passer par où vous êtes passé.
7 Prenez, mes filles, votre part de cette croix, et ne vous préoccupez
pas si vous êtes foulées aux pieds par les juifs ; ne faites aucun
cas de ce que l'on vous dira ; soyez sourdes aux médisances trébuchant,
tombant avec votre Époux, ne vous éloignez pas de la croix ; considérez
souvent avec quelle lassitude il va son chemin, et combien ses souffrances surpassent
les vôtres. Si grandes que vous vouliez les imaginer, et si intensément
sensibles qu'elles vous paraissent, vous serez consolées en voyant qu'elles
ne sont que fiction en comparaison de celles du Christ.
8 Vous allez me dire, mes soeurs : comment cela se peut-il ? et vous ajouterez
que si vous voyiez Sa Majesté des yeux du corps, comme au temps où
Elle était sur la terre, vous le feriez de bon coeur et auriez vos yeux
sans cesse tournés vers Elle. N'en croyez rien. Celle qui aujourd'hui
ne veut pas faire le moindre effort pour recueillir, ne serait- ce que le regard,
afin de regarder avec les yeux intérieurs ce Seigneur qui est au-dedans
d'elle - ce qui peut se faire sans danger et ne requiert qu'un peu d'attention
-, comment aurait-elle pu rester au pied de la Croix avec Madeleine qui, comme
on dit, voyait la mort de tout près ? Oh ! comme la glorieuse Vierge
et cette bienheureuse sainte ont dû souffrir ! Que de menaces, que de
paroles injurieuses et grossières ! Voyez à quels courtisans elles
avaient affaire ! à ceux de l'enfer assurément, tous n'étaient
autres que des ministres du démon. En vérité, leurs souffrances
ont dû être quelque chose de terrible, mais elles devaient y être
insensibles, car elles étaient en présence d'une douleur infiniment
plus grande.