Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 42

Comment il faut recueillir son esprit, et les moyens qu'il y a pour y parvenir. Ce chapitre est très utile pour ceux qui commencent à faire oraison.

1 Revenons maintenant à notre prière vocale, et apprenons à si bien la réciter que, sans nous en rendre compte, nous recevions de Dieu les deux sortes d'oraison à la fois. Je vous le répète, pour prier comme il faut, vous devez, vous le savez, commencer par examiner votre conscience, récitez le Confiteor et faire le signe de la croix. Ensuite, et puisque vous êtes seules, essayez, mes filles, de trouver une compagnie. Mais quelle meilleure compagnie que celle du Maître lui-même qui vous a enseigné la prière que vous allez réciter ? Imaginez que le Seigneur est tout prés de vous, et regardez avec quel amour et avec quelle humilité il vous instruit. Croyez-moi, faites tout votre possible pour ne jamais vous séparer d'un si bon ami. Si vous vous habituez à le garder près de vous 194, et s'il voit que vous le faites avec amour et que vous vous efforcez de le contenter, vous ne pourrez plus, comme on dit, vous en débarrasser ; il ne vous manquera jamais, il vous aidera dans toutes vos difficultés, il sera partout avec vous. Pensez-vous que ce soit peu de chose que d'avoir un tel ami à vos côtés ?
2 O âmes qui ne pouvez discourir beaucoup avec 1'entendement ni fixer votre pensée sur Dieu sans être aussitôt distraites, prenez, prenez cette habitude ! n'oubliez pas que je sais que vous le pouvez, car j'ai moi-même, pendant de longues années, endurées cette épreuve de ne pouvoir arrêter mon esprit sur une chose - et c'est une rude épreuve - ; mais je sais aussi que le Seigneur ne nous laisse pas dans un tel abandon qu'il ne nous tienne compagnie si nous nous approchons humblement de lui ; et si nous n'y parvenons pas en un an, que ce soit en plusieurs ! Je veux dire qu'il est possible de s'accoutumer à marcher aux côtés de ce véritable Maître.
3 Je ne vous demande pas de penser à lui, ni de forger quantité de concepts ou de tirer de votre esprit de hautes et subtiles considérations ; je ne vous demande que de fixer sur lui votre regard 196. Qui peut vous empêcher de tourner les yeux de l'âme - ne serait- ce qu'un instant si vous ne pouvez davantage - vers lui ? Puisque vous pouvez regarder des choses très laides et répugnantes, ne pourrez-vous regarder la chose la plus belle qu'on puisse imaginer ? S'il vous déplaît, je vous donne la permission de ne plus le regarder 197. Mes filles, votre Époux ne vous quitte jamais des yeux ; il a supporté de votre part mille choses laides et abominables, et ces offenses contre lui n'ont pas suffi pour qu'il détournât de vous ses regards. Est-ce donc beaucoup que vous détourniez les yeux de l'âme des choses extérieures pour les porter quelquefois sur lui ? Songez, comme il le dit à l'Épouse, qu'il n'attend de vous qu'un regard ; vous le trouverez tel que vous le désirerez. Il estime tant ce regard que, de son côté, il ne négligera rien pour l'avoir.
4 Voici, dit-on, ce que doit faire la femme qui veut vivre en bonne harmonie avec son mari ; s'il est triste, elle doit se montrer triste, et s'il est joyeux, elle doit apparaître joyeuse même si elle ne sent en elle aucune gaîté ; c'est là, en toute vérité et sans aucune feinte, la conduite du Seigneur à notre égard. Il se fait votre sujet, et il veut que vous soyez les souveraines ; il se soumet à votre volonté. Si vous êtes joyeuse, contemplez-le ressuscité : rien qu'à l'imaginer sortir du sépulcre, vous serez remplies d'allégresse. Quelle clarté, quelle beauté, quelle majesté ! quel air de victoire et de jubilation ! Il est sorti glorieux du champ de bataille où il a gagné un immense royaume qu'il veut tout entier vous offrir, en même temps qu'il se donne lui-même à vous. Est-ce donc beaucoup que vous éleviez parfois les yeux vers celui qui vous fait un tel don ?
5 Si vous êtes dans l'épreuve ou la tristesse, regardez-le attaché à la colonne, accablé de douleurs, toutes ses chairs mises en lambeaux tant est grand l'amour qu'il a pour vous, persécuté par les uns, couvert de crachats par les autres, renié par d'autres encore, sans amis, sans personne qui prenne sa défense, transi de froid, si totalement abandonné que vous pouvez vous consoler l'un l'autre. Regardez-le encore, au jardin des Oliviers, ou sur la croix, ou bien quand il fléchissait sous son poids et ne pouvait pas même reprendre haleine ; il tournera vers vous ses yeux si beaux, si compatissants, tout remplis de larmes, et il oubliera ses souffrances pour vous consoler des vôtres, uniquement parce que vous allez chercher consolation près de lui et que vous tournez la tête pour le regarder.
6 O Seigneur du monde et mon véritable Époux ! (Pouvez-vous lui dire si votre coeur s'attendrit en le voyant dans un tel état, et que non seulement vous voulez le regarder mais vous vous réjouissez de parler avec lui, non certes, pour lui adresser des prières toutes faites, mais pour lui dire la peine de votre coeur, ce qu'il apprécie au plus haut point.) Êtes-vous, mon Seigneur et mon Bien, réduit à une telle extrémité que vous trouviez bon d'accepter ma pauvre compagnie ? et je vois, à l'expression de votre visage, que vous avez oublié vos peines en me voyant près de vous. Mais comment, Seigneur, est-il possible que les Anges vous laissent seul, et que votre Père ne vous console pas ? S'il en est ainsi, Seigneur, et si vous voulez souffrir tout cela pour moi, puis-je appeler souffrance ce que je supporte ? de quoi ai-je à me plaindre ? je me sens toute honteuse de vous avoir vu dans cet état, et je suis préparée, mon Bien, à endurer toutes les épreuves qui pourront m'arriver, et à les considérer comme une grande richesse puisqu'elles me permettent de vous ressembler en quelque chose. Marchons ensemble, Seigneur, je veux aller par où vous êtes allé ; je veux passer par où vous êtes passé.
7 Prenez, mes filles, votre part de cette croix, et ne vous préoccupez pas si vous êtes foulées aux pieds par les juifs ; ne faites aucun cas de ce que l'on vous dira ; soyez sourdes aux médisances trébuchant, tombant avec votre Époux, ne vous éloignez pas de la croix ; considérez souvent avec quelle lassitude il va son chemin, et combien ses souffrances surpassent les vôtres. Si grandes que vous vouliez les imaginer, et si intensément sensibles qu'elles vous paraissent, vous serez consolées en voyant qu'elles ne sont que fiction en comparaison de celles du Christ.
8 Vous allez me dire, mes soeurs : comment cela se peut-il ? et vous ajouterez que si vous voyiez Sa Majesté des yeux du corps, comme au temps où Elle était sur la terre, vous le feriez de bon coeur et auriez vos yeux sans cesse tournés vers Elle. N'en croyez rien. Celle qui aujourd'hui ne veut pas faire le moindre effort pour recueillir, ne serait- ce que le regard, afin de regarder avec les yeux intérieurs ce Seigneur qui est au-dedans d'elle - ce qui peut se faire sans danger et ne requiert qu'un peu d'attention -, comment aurait-elle pu rester au pied de la Croix avec Madeleine qui, comme on dit, voyait la mort de tout près ? Oh ! comme la glorieuse Vierge et cette bienheureuse sainte ont dû souffrir ! Que de menaces, que de paroles injurieuses et grossières ! Voyez à quels courtisans elles avaient affaire ! à ceux de l'enfer assurément, tous n'étaient autres que des ministres du démon. En vérité, leurs souffrances ont dû être quelque chose de terrible, mais elles devaient y être insensibles, car elles étaient en présence d'une douleur infiniment plus grande.