Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 55

Comment les religieux ont l'obligation de mettre leurs paroles en pratique.

1 Vous voyez ici, mes filles, ce que Dieu a donné à celui qu'il aimait le plus ; vous comprendrez par là quelle est sa volonté, Considérez ce que vous faites ; veillez à ce que les paroles que vous adressez à un si grand Seigneur ne soient pas des paroles de pure politesse ; montrez-vous courageuses pour supporter ce qu'il plaira à Sa Majesté de vous envoyer, car si vous ne lui remettez pas entièrement votre volonté, vous ressemblerez à celui qui montre un bijou à quelqu'un et le prie de l'accepter, mais dès que ce dernier étend la main pour le prendre, le garde bel et bien.
2 Ce ne sont pas des moqueries à faire à celui qui en a déjà tant endurées pour nous. N'y aurait-il d'autre motif que celui-là, il suffirait pour que nous ne nous moquions pas de lui si souvent, car c'est très fréquemment que nous lui adressons cette demande dans le Paternoster. Donnons-lui donc une bonne fois pour toutes ce bijou que si souvent nous décidons de lui donner. Il est vrai qu'il ne nous le donne pas le premier. Oh, mon Dieu ! comme mon bon Jésus nous connaît ! Il n'a pas dit au début que nous remettions notre volonté au Seigneur ; il ne le dit que lorsque nous sommes bien payés de ce petit service, on verra par là le grand bénéfice que le Seigneur veut que nous gagnions en nous abandonnant à lui : dès cette vie même, il commence à nous en récompenser comme je vais maintenant le dire. Quand ceux qui vivent dans le monde sont sincèrement résolus de tenir leur promesse, c'est beaucoup. Pour vous, mes filles, vous devez dire et faire à la fois, parler et agir ; à la vérité, voilà, semble-t-il, ce que nous, religieux, devons faire. Parfois, cependant, nous mettons le bijou dans la main du Seigneur, puis nous le lui reprenons. Nous sommes si généreux au premier abord, et ensuite nous devenons si chiches, qu'il aurait presque mieux valu nous montrer moins empressés de donner.
3 Comme tous les conseils que je vous ai donnés dans ce livre n'ont qu'un but : celui de nous donner totalement au Créateur, de lui remettre notre volonté, de nous détacher des créatures, et comme vous en aurez compris la grande importance, je n'insiste pas davantage. Je veux seulement vous dire pourquoi notre bon Maître place ici ces paroles. Il sait qu'il n'y a pas de plus grand gain pour nous que de rendre ce service à son Père éternel, car par là nous nous disposons promptement à arriver au terme de notre voyage, et à boire l'eau vive de la source dont nous avons parlé. Si nous ne nous donnons pas complètement au Seigneur, et ne nous mettons pas entre ses mains pour qu'il prenne lui-même soin de tout qui nous concerne, jamais il ne nous laissera boire à cette source. Voilà en quoi consiste la contemplation parfaite dont vous m'avez priée de vous parler.
4 Ici, nous n'intervenons d'aucune façon, ni efforts, ni déploiement d'habileté, rien de plus n'est nécessaire, car tout ce que nous voudrions faire nous gênerait et nous empêcherait de dire : " Fiat voluntas tua. " Que votre volonté, Seigneur, s'accomplisse en moi de toutes les façons et de toutes les manières qu'il vous plaira, ô mon Seigneur ! Si vous voulez que ce soit au milieu des épreuves, donnez-moi la force de les supporter, et qu'elles viennent, si vous voulez que ce soit au milieu des persécutions, des maladies, des affronts et de l'indigence, me voici, je ne les refuserai pas, ô mon Père, et je n'ai pas le droit de les fuir. Dès lors que votre Fils vous a remis ma volonté en vous offrant celle de tous les hommes, je ne saurais, pour ma part, manquer d'honorer la promesse qu'il vous a faite en mon nom. Mais faites-moi la grâce de m'accorder votre royaume, afin que je puisse accomplir votre volonté - puisqu'il me l'a demandé - et disposez de moi à votre gré, comme d'une chose qui est vôtre.
5 O mes soeurs, quelle force il y a dans ce don ! S'il est fait avec la résolution voulue, il ne peut manquer d'attirer le Tout-Puissant à ne faire qu'un avec notre bassesse, à nous transformer en lui, et à unir le Créateur et la créature. Voyez comme vous serez bien payées et quel bon Maître vous avez ! Sachant comment on gagne la volonté de son Père, il nous enseigne de quelle manière et par quels moyens nous devons le servir.