Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 17
Comment celui
qui aime Dieu véritablement doit faire peu de cas de la vie.
1 Passons à d'autres petites choses qui sont aussi très importantes,
bien qu'elles soient mineures. Tout semble une tâche ardue, mais dés
qu'on commence à se mettre à l'oeuvre, Dieu agit si puissamment
dans l'âme et lui accorde tant de grâces que tout ce qu'elle peut
faire en cette vie lui semble peu.
Et puisque nous, les religieuses, faisons le plus difficile et donnons à
Dieu le principal, soit : notre volonté - la remettant au pouvoir d'autrui
-, pourquoi hésitons-nous lorsqu'il s'agit de faire un effort intérieur
tout à fait insignifiant ? Nous nous soumettons à tant de mortifications
: jeûnes, silence, fréquents offices au choeur, que, voudrions-nous
nous entourer de bien-être, nous ne le pourrions que de rares fois, et
pas toutes les fois escomptées - mais en tant de monastères que
j'ai vus, peut-être suis-je la seule à l'avoir recherché
- ; pourquoi hésitons-nous donc à mortifier nos corps à
propos de bagatelles, telle celle de ne leur faire plaisir en rien, et que n'avons-nous
soin de les conduire là où ils ne veulent pas aller jusqu'à
ce qu'ils soient assujettis à l'esprit ?
2 Il me semble que celui qui commence à servir Dieu véritablement,
le moins qu'il puisse lui offrir - après le don de sa volonté
- c'est sa vie, soit : rien du tout. Il est évident que le vrai religieux
ou l'authentique homme d'oraison qui prétend jouir des consolations divines,
ne doit pas renoncer à l'idée de mourir pour lui et d'endurer
le martyre. Ne savez-vous pas, mes soeurs, que la vie du vrai religieux ou de
celui qui veut être parmi les amis intimes de Dieu est un long martyre
? Je dis " long ", car comparé à la rapidité
du martyre de la décapitation, on peut le qualifier de long ; mais toute
vie n'est-elle pas courte, et celle de quelques-uns extrêmement courte
? Ainsi donc, ne faites aucun cas de ce qui passe, et encore beaucoup moins
de la vie, car aucun jour n'est assuré ; si nous pensions que chaque
jour est le dernier, qui d'entre nous, voyant qu'il n'en a pas d'autre à
vivre, ne déploierait tous ses efforts pour le bien employer ?
3 Écoutez-moi, mes soeurs, le plus sûr est de croire qu'il en est
ainsi. Travaillez donc à contredire en tout votre volonté. Même
si vous n'y parvenez pas immédiatement, petit à petit, et en peu
de temps, si vous vous appliquez et vous aidez de l'oraison, vous vous trouverez
au sommet. Mais comme il semble âpre de dire que nous ne devons nous faire
plaisir en rien, si on ne parle pas de la consolation et du plaisir qu'amène
cette contradiction, ni des joies et de la sécurité qu'elle procure
dés cette vie ! Ici, comme vous vous y exercez toutes, le plus important
est fait. Vous vous le rappelez les unes aux autres et vous vous aidez. Voici
ce que chacune doit essayer : dépasser les autres sur ce point.
4 Faites très attention à vos mouvements intérieurs, particulièrement
ceux qui concernent les prééminences. Dieu nous préserve,
par sa Passion, de dire : " je suis la plus ancienne ", " je
suis la plus âgée ", " j'ai travaillé davantage
", " cette autre soeur est mieux traitée que moi ". Il
faut promptement réfréner ces premiers mouvements, car si vous
vous y arrêtez ou commencez à en parler, c'est une peste et la
source de grands maux dans les monastères. N'oubliez pas que j'en ai
une grande expériences. Quand vous aurez une Prieure qui tolérera
tant soit peu ce genre de choses, croyez que Dieu a permis que vous l'ayez en
punition de vos péchés et pour qu'elle soit le commencement de
votre perte. Criez-lui au secours, et que toutes vos prières n'aient
d'autre but que de lui demander de vous venir en aide en vous envoyant un religieux
ou une personne d'oraison ; car si quelqu'un prie avec la détermination
de jouir des grâces et des consolations que Dieu accorde dans l'oraison,
il est bien qu'il soit très détaché.