Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 37

Ce qu'est l'oraison mentale.

1 Assurément, pratiquer ou non l'oraison mentale ne consiste pas à garder la bouche ouverte ou fermée ; si, lorsque je prie vocalement, je réalise pleinement que je parle avec Dieu, et si mon attention est plus tournée vers lui que vers les paroles que je prononce, j'unis l'oraison mentale et l'oraison vocale. Mais si l'on vient vous dire que vous parlez à Dieu quand, en récitant l'Avemaria 164, vous pensez au monde, je n'ai plus qu'à me taire. Quand vous parlez à un si grand Seigneur, il est juste que vous considériez quel est celui à qui vous vous adressez et qui vous êtes, ne serait-ce que pour parler avec civilité. Car comment pourrez-vous appeler un prince " Altesse ", et connaître le cérémonial qui s'impose pour parler à un grand, si vous ignorez la différence qu'il y a entre son état et le vôtre ? Car c'est là ce qui règle l'attitude que vous devez adopter, de même que vous devez vous conformer à l'usage - vous devez aussi connaître l'usage -, vous ne devez rien négliger de ces choses, sinon on vous enverra promener et vous n'obtiendrez rien de ce que vous désirez. Si vous n'êtes pas instruites de tout cela, vous devrez vous en informer et, pour ainsi dire, épeler ce que vous aurez à dire. Voici ce qui m'est arrivé une fois : je n'étais pas habituée à parler aux grands de ce monde et je devais, pour une affaire particulière, entrer en relation avec une personne qu'il fallait appeler : " Seigneurie " ; on me montra donc ce mot par écrit. Comme je suis malhabile et manque d'habitude, en arrivant sur place je ne sus pas me tirer d'affaire ; je décidai de dire à cette personne ce qu'il en était, et d'en rire, en la priant de trouver bon que je l'appelle : " Votre Grâce ", ce que je fis 165, Mais qu'est ceci, mon cher Seigneur ? qu'est ceci, mon Empereur ? comment peut-on le souffrir, Prince de toute la création ? Vous êtes Roi, Seigneur, pour l'éternité ; votre royaume n'est pas un royaume d'emprunt, il vous appartient en propre ; il ne finira jamais. Soyez béni, Seigneur ! Quand on récite dans le Credo que " votre royaume n'aura pas de fin ", j'en éprouve presque toujours une joie spéciale. Je vous loue, Seigneur, et je vous bénis, et que toutes les choses vous louent pour toujours, car votre royaume durera éternellement. Ne permettez jamais, Seigneur, que ceux qui vous loueront et parleront avec vous, ne le fassent que du bout des lèvres.
2 Qu'est-ce que cela, chrétiens ? vous comprenez-vous vous-mêmes ? Je voudrais crier et pouvoir controverser - bien que je ne sois que peu de chose - avec ceux qui disent que l'oraison mentale n'est pas nécessaire. Assurément, je vois que vous ne vous comprenez pas et ne savez pas ce qu'est l'oraison mentale, ni comment il faut faire la prière vocale, ni ce qu'on entend par contemplation, parce que si vous le saviez, vous ne condamneriez pas d'un côté ce que vous approuvez de l'autre.
3 Pour moi, mes filles, autant que je m'en souviendrai, j'ai l'intention d'unir toujours l'oraison mentale et l'oraison vocale afin de chasser de vous toute frayeur ; je sais où ces choses peuvent mener, et je ne voudrais pas que l'on vînt à vous leurrer, car il est préjudiciable de marcher avec crainte dans ce chemin de l'oraison. Il est très important pour vous de comprendre que vous êtes en bonne voie ; en effet, si l'on dit à quelqu'un qu'il s'est égaré, qu'il a perdu son chemin, on le fait aller de côté et d'autre, et pendant qu'il cherche à retrouver sa route, il se fatigue, perd du temps et arrive plus tard. Qui pourrait trouver mal qu'en commençant à réciter les heures ou le rosaire, vous vous demandiez tout d'abord à Qui vous allez vous adresser, et qui vous êtes, afin de voir comment vous traiterez avec Lui ? Eh bien je vous l'assure, mes filles, si vous faites tout ce qu'il faut pour creuser ces deux points, avant de commencer l'oraison vocale, soit : la récitation des heures et du rosaire, vous avez consacré de nombreuses heures à d'oraison mentale. Il est clair qu'on ne s'approche pas d'un prince, pour lui parler, de la même façon qu'on aborde un simple laboureur ou de pauvres religieuses comme nous ; peu nous importe d'être tutoyées ou vouvoyées !
4 Il est vrai, l'humilité de ce Roi est telle que malgré mon ignorance des règles pour lui parler, il ne me méprise pas, ne m'empêche pas de m'approcher de lui, et ses gardes ne me chassent pas. Les anges qui l'entourent n'ignorent pas que leur Roi préfère la simplicité d'un humble petit berger (qui lui en dirait davantage, le Roi le sait bien, s'il était plus savant), à un système théologique bien organisé, mais non empreint, peut-être, d'une grande humilité. Toutefois, ce n'est pas parce qu'il est bon que nous devons nous montrer impolies. Ne serait-ce que pour lui témoigner notre gratitude d'endurer la mauvaise odeur de notre présence, et de nous supporter, il est juste que nous voyions Qui il est. En vérité, on le comprend dès qu'on s'approche de Lui. Comment connaît-on les seigneurs de ce monde ? en s'informant du nom de leurs ancêtres, de leurs revenus, de leurs titres de noblesse, et tout est dit ! Ici- bas, on ne tient pas compte du mérite personnel, si grand soit-il, mais des richesses.
5 O malheureux monde ! Bénissez Dieu, mes filles, d'avoir laissé un endroit si misérable où l'on estime les gens non pour ce qu'ils ont en eux, mais pour ce que possèdent leurs fermiers et leurs vasseaux. Plaisant sujet que voici pour vous divertir à l'heure de la récréation ! Ce sera un excellent passe-temps que celui de chercher à comprendre dans quel aveuglement les gens du monde passent leur temps !
6 O Roi de gloire, Seigneur des seigneurs, Empereur de tous les empereurs du monde, Saint des saints, Pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, Savoir au-dessus de tous les savoirs, la Sagesse même ! Vous êtes, Seigneur, la vérité même, la richesse même : votre règne n'aura pas de fin.