Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 16

Continue à traiter de la mortification qu'il faut acquérir dans les maladies.

1 Ces hurlements, ces plaintes continuelles, ce parler défaillant comme si vous étiez malades me semblent, mes soeurs, une très grande imperfection. Pour l'amour de Dieu, même si vous êtes malades, ne faites pas cela si vous pouvez l'éviter. Quand le mal est grave, il se plaint lui-même ; c'est une autre sorte de plainte et on l'identifie immédiatement. Vous êtes peu nombreuses, et si l'une de vous prend cette habitude, elle va inquiéter toutes les autres, dés lors que vous vous aimez et avez de la charité les unes pour les autres ; mais celle qui serait vraiment malade devra le dire et prendre ce qui est nécessaire, car si vous êtes dégagées de l'amour de vous-mêmes, vous serez tellement peinées des attentions superflues qu'il n'y a pas à craindre que vous vous les octroyiez - je veux dire que vous vous plaigniez sans nécessité -, ni que vous les réclamiez ; lorsqu'il y a nécessité, ce serait très mal de ne pas la faire connaître, et pire encore si personne n'avait pitié de vous.
2 Mais il est bien certain que là où il y a prière et charité et où vous êtes si peu nombreuses, vous verrez vos besoins réciproques, et les attentions ne vous manqueront pas. Oubliez alors ces petits malaises et faiblesses propres aux femmes, car le démon nous fait parfois imaginer ces maux ; ils vont et viennent. Perdez l'habitude de tout dire et de vous plaindre de tout - si ce n'est à Dieu - sinon vous n'en finirez jamais. J'insiste beaucoup sur ce point parce que je le considère comme très important, et l'une des causes de relâchement des monastères 84. Notre corps a cela de fâcheux : plus on y fait attention, plus il montre d'exigences. C'est étrange comme il aime être bien traité ! Comme il y trouve quelques bons prétextes de tromper la pauvre âme pour l'empêcher de progresser, il ne néglige rien.
3 Songez à tant de pauvres malades qui n'ont pas même à qui se plaindre. Être pauvres et choyées, cela ne va pas ensemble. Songez aussi à tant de femmes mariées. Je sais qu'il en existe, et de bon rang qui, malgré des maux graves et de cruelles épreuves, n'osent pas se plaindre de peur de fâcher leur mari. Mais, pécheresse que je suis ! nous ne sommes assurément pas venues ici pour être plus à notre aise qu'elles. Oh ! vous qui êtes à l'abri des grandes épreuves de ce monde, sachez souffrir un petit peu pour l'amour de Dieu sans que tout le monde le sache ! Voici une femme très mal mariée et, afin que son mari ne sache pas qu'elle en parle ou qu'elle s'en plaint, elle supporte sa grande infortune et ses pénibles épreuves sans s'épancher auprès de personne ; et nous ne supporterions pas entre Dieu et nous quelques-uns des maux qu'il nous envoie pour nos péchés ? D'autant plus que les plaintes ne servent à rien pour soulager notre douleur.
4 Dans tout ce que je viens de dire je ne fais pas allusion aux maladies sérieuses accompagnées de fortes fièvres - bien que dans ce cas aussi, je demande modération et patience -, mais de ces légères indispositions que l'on peut supporter debout sans tuer tout le monde à cause d'elles. Qu'arriverait-il si ces lignes venaient à être lues hors de cette maison ? Que ne diraient pas de moi tous les monastères ? Ah ! comme je le supporterais de bon gré si cela pouvait en corriger quelqu'une ! Finalement, on en arrive à un tel état de choses que les unes pâtissent à cause des autres ; et si l'une d'entre vous montre de la patience, les médecins eux-mêmes ne la croient pas tant ils en ont vu d'autres ne cesser de se plaindre pour presque rien (comme ce livre n'est destiné qu'à mes filles, je peux tout dire). Rappelez-vous nos saints pères du passé, ces saints ermites dont nous prétendons imiter la vie, que de souffrances n'ont-ils pas supportées, et dans quelle solitude ! le froid, la faim, les ardeurs du soleil, sans avoir personne à qui se plaindre, excepté Dieu ! Pensez-vous qu'ils étaient en fer ? Non ! ils étaient faits de chair, tout comme nous. Et quand vous commencerez, mes filles, à vaincre ce misérable corps, il ne vous molestera pas tant. Il n'y aura que trop de religieuses pour veiller à vos besoins ; détournez l'attention de vous-mêmes, à moins que la nécessité ne soit manifeste. Si vous ne vous déterminez pas à accepter une bonne fois pour toutes la mort et le manque de santé, vous ne ferez jamais rien.
5 Efforcez-vous de ne pas craindre la mort, abandonnez-vous tout entières à Dieu et advienne que pourra. Votre corps s'est moqué de vous si souvent, moquez-vous donc de lui une bonne fois pour toutes ; soyez sûres que pour insignifiant que ceci puisse paraître comparé à d'autres choses, il en importe plus que vous ne pouvez le comprendre ; mettez-le en pratique de façon que cela devienne une habitude, et vous verrez que je ne mens pas. Plaise au Seigneur, dont l'aide nous est nécessaire pour tout, de nous accorder la grâce d'agir ainsi, et que Sa Majesté y consente pour sa propre gloire.