Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 16
Continue à traiter de la mortification qu'il faut acquérir dans les maladies.
1 Ces hurlements,
ces plaintes continuelles, ce parler défaillant comme si vous étiez
malades me semblent, mes soeurs, une très grande imperfection. Pour l'amour
de Dieu, même si vous êtes malades, ne faites pas cela si vous pouvez
l'éviter. Quand le mal est grave, il se plaint lui-même ; c'est
une autre sorte de plainte et on l'identifie immédiatement. Vous êtes
peu nombreuses, et si l'une de vous prend cette habitude, elle va inquiéter
toutes les autres, dés lors que vous vous aimez et avez de la charité
les unes pour les autres ; mais celle qui serait vraiment malade devra le dire
et prendre ce qui est nécessaire, car si vous êtes dégagées
de l'amour de vous-mêmes, vous serez tellement peinées des attentions
superflues qu'il n'y a pas à craindre que vous vous les octroyiez - je
veux dire que vous vous plaigniez sans nécessité -, ni que vous
les réclamiez ; lorsqu'il y a nécessité, ce serait très
mal de ne pas la faire connaître, et pire encore si personne n'avait pitié
de vous.
2 Mais il est bien certain que là où il y a prière et charité
et où vous êtes si peu nombreuses, vous verrez vos besoins réciproques,
et les attentions ne vous manqueront pas. Oubliez alors ces petits malaises
et faiblesses propres aux femmes, car le démon nous fait parfois imaginer
ces maux ; ils vont et viennent. Perdez l'habitude de tout dire et de vous plaindre
de tout - si ce n'est à Dieu - sinon vous n'en finirez jamais. J'insiste
beaucoup sur ce point parce que je le considère comme très important,
et l'une des causes de relâchement des monastères 84. Notre corps
a cela de fâcheux : plus on y fait attention, plus il montre d'exigences.
C'est étrange comme il aime être bien traité ! Comme il
y trouve quelques bons prétextes de tromper la pauvre âme pour
l'empêcher de progresser, il ne néglige rien.
3 Songez à tant de pauvres malades qui n'ont pas même à
qui se plaindre. Être pauvres et choyées, cela ne va pas ensemble.
Songez aussi à tant de femmes mariées. Je sais qu'il en existe,
et de bon rang qui, malgré des maux graves et de cruelles épreuves,
n'osent pas se plaindre de peur de fâcher leur mari. Mais, pécheresse
que je suis ! nous ne sommes assurément pas venues ici pour être
plus à notre aise qu'elles. Oh ! vous qui êtes à l'abri
des grandes épreuves de ce monde, sachez souffrir un petit peu pour l'amour
de Dieu sans que tout le monde le sache ! Voici une femme très mal mariée
et, afin que son mari ne sache pas qu'elle en parle ou qu'elle s'en plaint,
elle supporte sa grande infortune et ses pénibles épreuves sans
s'épancher auprès de personne ; et nous ne supporterions pas entre
Dieu et nous quelques-uns des maux qu'il nous envoie pour nos péchés
? D'autant plus que les plaintes ne servent à rien pour soulager notre
douleur.
4 Dans tout ce que je viens de dire je ne fais pas allusion aux maladies sérieuses
accompagnées de fortes fièvres - bien que dans ce cas aussi, je
demande modération et patience -, mais de ces légères indispositions
que l'on peut supporter debout sans tuer tout le monde à cause d'elles.
Qu'arriverait-il si ces lignes venaient à être lues hors de cette
maison ? Que ne diraient pas de moi tous les monastères ? Ah ! comme
je le supporterais de bon gré si cela pouvait en corriger quelqu'une
! Finalement, on en arrive à un tel état de choses que les unes
pâtissent à cause des autres ; et si l'une d'entre vous montre
de la patience, les médecins eux-mêmes ne la croient pas tant ils
en ont vu d'autres ne cesser de se plaindre pour presque rien (comme ce livre
n'est destiné qu'à mes filles, je peux tout dire). Rappelez-vous
nos saints pères du passé, ces saints ermites dont nous prétendons
imiter la vie, que de souffrances n'ont-ils pas supportées, et dans quelle
solitude ! le froid, la faim, les ardeurs du soleil, sans avoir personne à
qui se plaindre, excepté Dieu ! Pensez-vous qu'ils étaient en
fer ? Non ! ils étaient faits de chair, tout comme nous. Et quand vous
commencerez, mes filles, à vaincre ce misérable corps, il ne vous
molestera pas tant. Il n'y aura que trop de religieuses pour veiller à
vos besoins ; détournez l'attention de vous-mêmes, à moins
que la nécessité ne soit manifeste. Si vous ne vous déterminez
pas à accepter une bonne fois pour toutes la mort et le manque de santé,
vous ne ferez jamais rien.
5 Efforcez-vous de ne pas craindre la mort, abandonnez-vous tout entières
à Dieu et advienne que pourra. Votre corps s'est moqué de vous
si souvent, moquez-vous donc de lui une bonne fois pour toutes ; soyez sûres
que pour insignifiant que ceci puisse paraître comparé à
d'autres choses, il en importe plus que vous ne pouvez le comprendre ; mettez-le
en pratique de façon que cela devienne une habitude, et vous verrez que
je ne mens pas. Plaise au Seigneur, dont l'aide nous est nécessaire pour
tout, de nous accorder la grâce d'agir ainsi, et que Sa Majesté
y consente pour sa propre gloire.