Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73

CHAPITRE 27

Comment toutes les âmes ne sont pas appelées à la contemplation, comment quelques-unes y arrivent tard, et comment le vrai humble doit marcher avec joie dans le chemin sur lequel le Seigneur le conduit.
1 Il semble que je vais enfin traiter de l'oraison, mais j'ai encore à vous parler quelque peu d'une chose qui importe beaucoup, puisqu'il s'agit de l'humilité et qu'elle est nécessaire dans cette maison ; comme vous devez toutes pratiquer l'oraison, et la pratiquez, il est nécessaire, comme je l'ai dit, que vous essayiez de comprendre comment vous exercer à l'humilité de toutes les façons possibles. Or voici un point important quant à cette vertu, et indispensable à toutes les personnes qui s'adonnent à l'oraison : comment celui qui est vraiment humble pourra-t- il penser qu'il est aussi bon que ceux qui atteignent cet état ? Dieu, il est vrai, par les mérites du Christ, peut le rendre vertueux et le lui faire mériter ; mais - s'il veut m'en croire - qu'il s'assoie toujours à la dernière place ; qu'il se tienne prêt pour le cas où Dieu voudrait le mener par le chemin de la contemplation ; et si tel n'est pas le bon vouloir divin, la vraie humilité intervient ici, et l'âme s'estimera heureuse d'être la servante des servantes du Seigneur, et elle le louera de l'avoir appelée en leur compagnie alors qu'elle méritait l'enfer.
2 Je ne dis pas cela sans raison sérieuse car, je le répète, il est très important de comprendre que Dieu ne nous conduit pas tous par le même chemin, et celui qui croit marcher par le chemin le plus bas est peut-être le plus haut aux yeux du Seigneur. Ce n'est pas parce que dans cette maison la coutume et la pratique de l'oraison sont observées, que vous devez obligatoirement être toutes contemplatives. C'est impossible, et celle qui ne le sera pas éprouvera une vive contrariété si elle ne comprend pas cette vérité. La contemplation est un don de Dieu. Et puisqu'elle n'est pas nécessaire au salut et que Dieu ne nous la demande pas comme condition de la récompense future, que cette religieuse ne s'imagine pas que quelqu'un d'autre l'exigera, ni qu'elle cessera pour autant d'être très parfaite si elle met en pratique ce que j'ai écrit ; au contraire, elle aura peut-être beaucoup plus de mérite, parce qu'elle devra fournir davantage d'efforts ; le Seigneur la traite en âme forte et lui réserve, pour les lui donner toutes à la fois, les consolations dont elle n'aura pas joui sur la terre. Qu'elle ne se décourage donc pas, n'abandonne pas l'oraison et n'omette pas de faire comme les autres, car parfois le Seigneur vient très tard ; et, même tard, il paye bien, et donne d'un seul coup autant qu'il a donné peu à peu à d'autres en plusieurs années.
3 J'ai passé quatorze ans sans pouvoir jamais méditer autrement qu'avec un livre. Il doit y avoir beaucoup de personnes dans ce cas, et d'autres qui, même avec un livre, sont incapables de méditer ; elles ne peuvent que prier vocalement ; cela les absorbe davantage et elles y trouvent une certaine satisfaction. Quelques-unes ont l'esprit si léger qu'elles ne peuvent se fixer sur quoi que ce soit ; elles sont toujours dans une telle inquiétude que si elles veulent arrêter leur pensée sur Dieu, elles se perdent en mille vanités, scrupules et doutes sur la foi. Je connais une religieuse fort âgée - plût à Dieu que ma vie fût comme la sienne - très sainte, pénitente, en tout excellente religieuse et qui s'adonne régulièrement à l'oraison vocale, mais pour qui l'oraison mentale est impossible ; tout au plus peut-elle s'arrêter un peu sur chacun de ses Avemaria et de ses Paternoster - et c'est un saint exercice. Il y a beaucoup d'autres personnes qui sont dans ce cas et, si elles sont humbles, je ne pense pas qu'elles soient à la fin de l'année plus mal partagées que celles qui ont de nombreuses consolations dans l'oraison ; elles recevront tout autant et, en un sens, elles se sentiront plus sûres, car comment savons nous si ces consolations viennent de Dieu ou sont envoyées par le démon ? Si elles ne viennent pas de Dieu, elles sont très dangereuses, car l'oeuvre du démon est de nous inspirer de l'orgueil ; si elles viennent de Dieu, il n'y a aucune raison de craindre, comme je l'ai écrit dans un autre livre.
4 Les âmes qui sont privées de telles consolations marchent dans l'humilité, elles craignent toujours qu'il n'y ait de leur faute, elles sont toujours soucieuses d'aller de l'avant ; en voient-elles d'autres verser une larme ? elles s'imaginent aussitôt, n'en répandant pas elles-mêmes, qu'elles sont très en retard dans le service de Dieu alors qu'elles devancent les autres de beaucoup ; les larmes, en effet - quoique bonnes - ne sont pas toutes parfaites, tandis que l'humilité, la mortification, le détachement et autres vertus sont toujours sûres. Ne craignez pas, vous ne pouvez manquer d'atteindre la perfection comme ceux qui sont de grands contemplatifs.
5 Sainte Marthe était sainte, bien qu'on ne nous la présente pas comme une contemplative ; que prétendez-vous de plus que de ressembler à cette bienheureuse femme qui mérita tant de fois de recevoir le Christ Notre-Seigneur dans sa maison, de lui donner à manger, de le servir, de manger à sa table, et peut-être même de son plat ? Si toutes deux étaient demeurées absorbées comme Madeleine, il n'y aurait eu personne pour donner à manger à l'hôte céleste. Eh bien ! représentez-vous que cette petite communauté est la maison de sainte Marthe et qu'il doit y avoir de tout. Et celles qui sont menées par la voie active ne doivent pas trouver à redire à celles qui resteront tout abîmées dans l'oraison car, généralement, cet état ôte tout souci de soi-même et de toutes choses.
6 Qu'elles se souviennent que si elles se taisent, le Seigneur répondra pour elles, et qu'elles s'estiment heureuses d'aller lui préparer ses repas. Qu'elles considèrent que la véritable humilité consiste surtout, j'en suis sûre, à répondre promptement et joyeusement à ce qu'il plaira au Seigneur de faire de nous, et à se considérer indignes d'être appelées ses servantes. Si donc contempler, faire oraison mentale ou vocale, soigner les malades, s'occuper de la maison, s'efforcer de désirer que ce soit aux plus bas offices, n'est autre chose que servir l'Hôte qui vient loger, manger et se délasser chez nous, que nous importe de faire une chose plutôt qu'une autre ?