Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 61

Suite du même sujet. L'auteur fait une comparaison. Chapitre très profitable après avoir reçu la Très Sainte Communion.

1 Donc, si, comme vous le dites, vous vous donnez véritablement à Dieu, ne vous inquiétez pas au sujet de votre subsistance ; c'est lui qui s'en inquiète, et il s'en inquiétera toujours. Vous êtes comme un serviteur qui entre au service d'un maître : le serviteur veille à le contenter en tout ; mais le maître doit lui donner à manger tant qu'il l'aura à son service dans sa maison ; à moins qu'il ne soit tellement pauvre qu'il n'ait rien, ni pour lui-même ni pour son serviteur. Ici ma comparaison cesse d'être vraie, car notre Maître est et sera toujours tout-puissant. Ne serait-il donc pas mal venu que le serviteur aille demander chaque jour de quoi manger, quand il sait que son maître veille à ce qu'on lui donne le nécessaire et y veillera toujours ? Ce serait parler pour ne rien dire, et le maître ne manquerait pas de lui signifier de prendre soin de le servir au lieu de s'occuper du reste car, en dehors de sa tâche, il ne fait rien de bien.
2 Ainsi donc, mes soeurs, demande qui voudra de ce pain matériel ; quant à nous, demandons celui qui nous importe, et supplions le Père de nous donner sa grâce, pour que nous puissions recevoir un si grand don et une si céleste nourriture avec des dispositions telles qu'il se dévoile aux yeux de l'âme (les yeux du corps ne pouvant se délecter à le regarder puisqu'il est caché), et se manifeste à elle ; c'est là une tout autre nourriture, pleine de joies et de délices. Quant au pain matériel qui soutient notre existence, nous en arriverons à le désirer et à le demander plus souvent que nous ne le voudrions, même sans nous en apercevoir. Nul besoin qu'on nous y fasse penser car, je le répète, notre fâcheux penchant pour les choses ordinaires nous en fera souvenir plus souvent que nous ne le voudrions ; mais délibérément, ne nous soucions de rien, si ce n'est de supplier le Seigneur de nous accorder ce dont je vous ai parlé car, si nous l'avons, nous aurons tout.
3 Pensez-vous que ce Très Saint Sacrement ne soit pas aussi un très bon aliment pour le corps, et une puissante médecine même pour les maux physiques ? Pour moi, j'en suis sûre ; et je connais une personne affligée de graves maladies qui, éprouvant très souvent de vives douleurs, pouvait constater qu'on les lui enlevait comme avec la main, et se trouvait ensuite complètement guérie. Cela lui arrivait souvent, et pourtant il s'agissait de maladies évidentes et qui ne pouvaient être simulées ; quant aux nombreux autres effets produits dans cette âme, il est inutile de les mentionner - je suis bien placée pour les connaître, et je sais que cette personne ne ment pas ; sa piété était si grande et sa foi si vive que, quand elle entendait certaines personnes dire, lors de la célébration de la fête d'un saint, qu'elles auraient voulu vivre au temps où le Christ était en ce monde, elle riait en elle-même et se disait : puisque nous le possédons dans le Très Saint Sacrement d'une façon si réelle, que veulent-elles de plus ?
4 Je sais aussi que durant plusieurs années cette personne, qui n'était pourtant pas très parfaite, voyait aussi clairement que si elle l'avait vu avec les yeux du corps, le Christ entrer dans l'hôtellerie de son âme ; sa foi la poussait à croire que c'était la même chose, et qu'elle le possédait dans sa maison, pourtant bien pauvre ; elle se détachait alors de toutes les choses extérieures, et se mettait dans un coin en essayant de recueillir ses sens pour être seule avec son Seigneur ; elle se considérait à ses pieds 300, et restait là - même si elle ne sentait pas de dévotion - à parler avec lui.
5 Car, à moins de vouloir être insensés et aveugles, si nous avons la foi, il est bien évident qu'il est en nous ; alors, pourquoi (comme il a déjà été dit) irions-nous le chercher plus loin ? Nous le savons, tant que la chaleur naturelle n'a pas consumé les accidents du pain, le bon Jésus est avec nous. Lorsqu'il était dans ce monde, le simple contact de ses vêtements guérissait les malades ; comment douter alors, si j'ai la foi, qu'il ne fasse des miracles quand il est en moi si intimement, et qu'il ne me donne tout ce que je lui demanderai ? n'est-il pas dans ma maison ?
6 Si vous êtes affligées de ne pas le voir avec les yeux du corps, dites-vous que cela nous convient, car une chose est de le voir tel qu'il est dans la gloire, autre chose de le voir tel qu'il était en ce monde. Notre nature est si faible que personne ne pourrait soutenir la vue de sa gloire, le monde cesserait d'exister et personne ne voudrait plus demeurer ; car, en face de cette Vérité éternelle, nous comprendrions que toutes les choses dont nous faisons cas ici-bas ne sont que mensonges.
7 Ne craignez pas, même si vous ne le voyez pas avec les yeux du corps, qu'il soit caché pour ses amis ; restez avec lui de bon coeur ; souvenez-vous que c'est une heure très bénéfique pour l'âme, et dont - puisque vous lui tenez compagnie - le bon Jésus tire grand profit ; faites très attention, mes filles, de ne pas la perdre. Si l'obéissance vous commande autre chose, essayez de laisser votre âme avec le Seigneur. Il est votre Maître et il ne manquera pas de vous instruire, même si vous ne vous en apercevez pas. Mais si vous portez votre pensée ailleurs et ne vous souciez pas plus de sa présence en vous que si vous ne l'aviez pas accueilli, ne vous plaignez pas de lui, mais de vous. Je ne vous dis pas de ne réciter aucune prière, car si je vous le disais vous me prendriez au mot et diriez que je parle de contemplation, alors que vous ne pouvez la pratiquer que si le Seigneur vous y amène ; non, je vous dis que si vous récitez le Paternoster, vous devez réaliser que vous êtes vraiment et effectivement avec celui qui vous l'a enseigné, lui baiser les pieds, lui demander de vous aider à prier, et le supplier de ne pas s'éloigner de vous.
8 Si vous devez faire cette requête en portant vos yeux vers une image du Christ devant laquelle vous vous trouvez, ne voyez vous pas qu'il serait insensé, à un pareil moment, de laisser l'image vivante et la personne elle-même pour regarder le portrait ? Ne serait-ce pas déraison si, ayant le portrait d'une personne que nous aimons beaucoup, et recevant la visite de cette même personne, nous négligions de lui parler et conversions avec le portrait ? Savez-vous à quel moment recourir à un tableau est une bonne sainte chose, et quand cela est pour moi une source de joie ? quand la personne elle-même est absente, car c'est alors un grand réconfort de regarder une image de Notre-Dame ou d'un saint pour qui nous éprouvons de la dévotion - et mille fois plus encore s'il s'agit d'une image du Christ ; c'est une chose qui éveille l'amour, et de quelque côté que je tourne les yeux je voudrais la voir. Que pourrions- nous offrir de meilleur et de plus attrayant à notre regard ? Infortunés hérétiques qui, entre autres choses, manquent de cette consolation et de ce bienfait !
9 Mais lorsque vous venez de recevoir le Seigneur et avez en vous la personne elle-même, essayez de fermer les yeux du corps, d'ouvrir ceux de l'âme et de regarder dans votre coeur. Je vous le dis - et vous le répète et vous le répéterai encore et encore -, si vous prenez cette habitude de rester avec lui (pas une ou deux fois mais toutes les fois que vous communierez), et vous efforcez de garder une pureté de conscience telle qu'il vous soit permis de jouir souvent de ce bonheur, il ne se dissimulera pas tellement qu'il ne se manifeste à vous de bien des manières, dans la mesure où vous désirez le voir ; votre désir peut même être si grand, qu'il se manifestera complètement à vous.
10 Mais si, quand vous le recevez, vous ne faites aucun cas de lui alors qu'il est si près de vous, et allez le chercher ailleurs ou courez après de vils objets, que voulez-vous qu'il fasse ? Doit-il vous forcer à le regarder et à rester avec lui parce qu'il veut se faire connaître à vous ? Certes pas ! on ne le traita pas bien lorsqu'il se montra à tous découvert et dit clairement qui il était ; qu'il fut petit le nombre de ceux qui crurent en lui ! Il nous fait donc à tous une très grande miséricorde en voulant que nous sachions que c'est lui qui est dans le Très Saint Sacrement. Quant à se montrer à découvert, à communiquer ses magnificences, à faire part de ses trésors, c'est une faveur réservée à ceux dont il connaît l'ardeur des désirs ; ceux-là sont ses véritables amis. Je vous le dis, celui qui l'offense et ne fait pas tout ce qui dépend de lui pour le recevoir, ne doit jamais l'importuner pour qu'il se révèle à lui. A peine a-t-il accompli ce que l'Église prescrit, qu'il court chez lui et le chasse de sa maison de sorte que, s'il rentre en lui-même, ce sera pour penser maintes choses vaines en sa présence.