Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 22
Du grand
bien qu'il y a à ne pas se disculper même si on se voit condamné
sans être coupable.
1 Mais comme je vous écris de façon décousue ! tout comme
une personne qui ne sait pas ce qu'elle fait. C'est de votre faute, mes soeurs,
puisque c'est vous qui me le demandez. Lisez-le comme vous le pourrez - puisque
moi aussi je l'écris comme je le peux - et, si c'est trop mauvais, brûlez-le.
J'aurais besoin de tranquillité mais, comme vous le voyez, j'ai si peu
de temps libre que huit jours se passent sans que je puisse écrire, et
ainsi j'oublie ce que j'ai dit et même ce que je vais dire. Et maintenant
il paraîtra très mal de ma part de vous prier de ne pas faire ce
que je viens de faire, soit : m'excuser ; je vois en effet que souffrir sans
se disculper est une habitude de haute perfection, très édifiante
et méritoire ; et bien que je vous l'enseigne très souvent et
que, par la bonté de Dieu, vous le mettiez en pratique, Sa Majesté
ne m'a jamais accordé cette faveur. Puisse-t-il me la concéder
avant que je ne meure 97 ! Jamais une raison ne me manque pour qu'il me paraisse
plus vertueux de me disculper. Comme c'est quelquefois permis, et qu'il serait
mal de ne pas le faire, je n'ai pas la discrétion - ou pour mieux dire
l'humilité - de le faire quand il convient. C'est vraiment faire preuve
de grande humilité que de se laisser condamner sans être coupable,
et c'est grandement imiter le Seigneur qui prit à son compte toutes nos
fautes. Je voudrais fortement vous persuader de vous y efforcer sérieusement,
car vous en retirerez de grands bénéfices ; je n'en vois au contraire
aucun, absolument aucun, à nous disculper nous-mêmes d'une faute
sauf, je le répète, en certains cas où ne pas dire la vérité
susciterait courroux ou scandale. Quiconque aura plus de discrétion que
moi comprendra ces nuances.
2 Je crois qu'il est très important de s'habituer à pratiquer
cette vertu, ou de travailler à obtenir du Seigneur la véritable
humilité qui en est l'origine ; le vrai humble, en effet, doit sincèrement
désirer être méprisé, persécuté et
condamné sans motif, même pour des choses graves. S'il veut imiter
le Seigneur, en quoi peut-il mieux le faire ? Il ne faut pour cela ni forces
corporelles ni aide de personne si ce n'est de Dieu.
3 Je voudrais, mes soeurs, que ces grandes vertus soient l'objet de notre étude
et de notre pénitence car, vous le savez, pour ce qui est des autres
mortifications, même louables, je vous modère lorsqu'elles sont
excessives. De grandes vertus intérieures ne peuvent être l'objet
d'excès : elles ne débilitent pas le corps des forces nécessaires
pour pratiquer l'observance ; au contraire, elles fortifient l'âme ; et
en s'exerçant à vaincre de très petites choses, on peut
parvenir à remporter la victoire dans les grandes.
4 Mais comme c'est facile d'écrire ceci, et comme je le mets mal en pratique
! En vérité je n'ai jamais pu faire cette preuve dans les choses
importantes, car je n'ai jamais entendu dire du mal de moi que je n'aie réalisé
clairement qu'on était en reste. Si quelquefois - ou plutôt souvent
- je n'avais pas offensé Dieu de la façon dont on vient de parler,
je l'avais fait de bien d'autres manières, et il me semblait que c'était
beaucoup qu'on le passât sous silence ; j'ajoute avoir toujours préféré
qu'on me blamât pour des fautes que je n'avais pas commises, plutôt
que d'entendre dire mes vérités ; cela me déplaisait ;
ces autres choses, même si elles étaient graves, ne m'affectaient
pas ; mais dans les petites choses je suivais ma nature - et je la suis encore
- sans faire attention à ce qui était le plus parfait. C'est pourquoi
je voudrais que vous commenciez de bonne heure à comprendre cela, et
que chacune d'entre vous considère tout ce qu'elle a à gagner
sous tous les rapports en pratiquant cette vertu, et comment, à mon sens,
elle n'a rien à y perdre. La principale chose qu'on y gagne c'est d'imiter
tant soit peu le Seigneur. Je dis " tant soit peu " car, je le répète,
on ne nous accuse jamais sans que nous ayons quelque faute à nous reprocher
puisque nous en sommes toujours remplies. Le juste tombe sept fois par jour,
et ce serait mentir que d'affirmer que nous sommes sans péché.
Ainsi donc, même si on nous accuse à tort, nous ne sommes jamais
complètement exemptes de fautes, comme l'était le bon Jésus.
5 O mon Seigneur ! quand je songe à toutes les souffrances que vous avez
endurées et combien vous étiez loin de les avoir méritées,
je ne sais pas que penser de moi, ni où j'avais l'esprit quand je désirais
ne pas souffrir, ni où j'en suis quand je me disculpe de quelque chose.
Vous savez, vous, ô mon Bien, que s'il y a en moi quelque chose de bon,
je ne l'ai pas reçu d'autres mains que des vôtres ; eh bien ! vous
en coûte-t-il plus, Seigneur, de donner beaucoup que de donner peu ? Si
je ne mérite pas d'être exaucée, je ne méritais pas
non plus les grâces que vous m'avez faites. Est-il possible que je veuille
qu'on pense du bien de quelqu'un d'aussi mauvais que moi ? Comment serait-ce
imaginable, alors qu'on a dit tant de mal de vous qui êtes le Bien au-dessus
de tous les biens ? C'est intolérable, c'est intolérable, ô
mon Dieu, et je ne voudrais pas que vous souffriez chez votre servante quoi
que ce soit qui déplaise à vos yeux. Considérez, Seigneur,
que les miens sont aveugles et qu'ils se contentent de très peu de chose.
O Vous ! donnez-moi la lumière, et faites que je désire être
haïe de tous, puisque tant de fois je vous ai abandonné alors que
vous ne cessiez de m'aimer si fidèlement ! Qu'est ceci, ô mon Dieu
? quel profit pensons-nous retirer à contenter les créatures ?
qu'importe qu'elles nous imputent toutes des fautes graves, si devant mon Créateur
je suis sans faute ? O mes soeurs, jamais nous n'arriverons à comprendre
cette vérité ! et ainsi jamais nous n'arriverons au sommet de
la perfection si nous n'appliquons notre esprit à considérer cette
vérité, et à méditer ce qui est et ce qui n'est
pas.