Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
CHAPITRE 24
Ce qui a été
dit était tout à fait indispensable pour commencer à traiter
d'oraison.
1 Ne vous imaginez pas que tout cela soit beaucoup car, comme on dit, je n'ai
fait que disposer les pions pour le jeu. Vous m'avez demandé de vous
parler des premiers degrés de l'oraison ; bien que Dieu, mes filles,
ne m'ait pas menée par ce chemin - puisque je ne dois pas encore posséder
le début de ces vertus -, je n'en connais pas d'autre. Eh bien, sachez
que celui qui ne sait pas disposer les pièces du jeu d'échecs
ne saura pas jouer ; et s'il ne sait pas faire échec. il ne saura pas
faire mat. Mais vous allez me blâmer parce que je parle de jeu, alors
qu'on ne joue pas dans cette maison et qu'il est défendu d'y jouer. Voyez
par là quelle mère Dieu vous a donnée ! elle est même
au courant d'une vanité comme celle-ci. Néanmoins, on dit que
le jeu est quelquefois licite. Licite ? Certes ! comme le sera pour nous cette
façon de jouer dont je parle, et avec quelle promptitude - si nous nous
y exerçons souvent - ferons-nous mat au Roi divin ! Il ne pourra plus
s'échapper de nos mains, ni ne le voudra.
2 C'est la dame qui, dans ce jeu, donne le plus de mal au roi, d'autant plus
que toutes les autres pièces la soutiennent. Mais aucune dame ne peut
obliger le roi à se rendre comme l'humilité ; c'est elle qui le
fit descendre du ciel dans les entrailles de la Vierge, et c'est par l'humilité
que nous pourrons l'amener dans notre âme d'un seul de nos cheveux. Croyez-le
: plus vous serez humble, plus vous le posséderez ; je ne peux en effet
concevoir qu'il y ait, ou puisse y avoir, d'humilité sans amour, ni d'amour
sans humilité ; de même qu'il est impossible que ces deux vertus
puissent exister sans un grand détachement de toutes les choses créées.
3 Vous me demanderez, mes filles, pourquoi je vous parle des vertus alors que
vous avez tant de livres pour vous les enseigner, et que vous désirez
seulement que je vous parle de contemplation. Voici ma réponse : si vous
m'aviez interrogée sur la méditation, j'aurais pu vous en parler
et la conseiller à tous, même à ceux qui n'auraient pas
possédé les vertus, parce qu'elle est le premier pas pour les
acquérir toutes et qu'il est vital pour tout chrétien de s'y exercer
; nul, si égaré soit-il, ne doit abandonner un si grand bien dès
lors que Dieu l'invite à en user ; je l'ai déjà écrit
ailleurs 106, et beaucoup d'autres qui savent ce qu'ils écrivent (ce
qui, assurément, n'est pas mon cas, Dieu le sait), l'ont fait également.
4 Mais la contemplation, mes filles, c'est autre chose ! et voici l'erreur où
nous tombons tous : voyons-nous quelqu'un consacrer chaque jour un moment à
penser à ses péchés - ce qui est une obligation sous peine
de n'être chrétien que de nom - et aussitôt nous disons :
c'est un grand contemplatif ; sur-le-champ on s'attend à voir en lui
les vertus suprêmes que doivent posséder ceux qui sont élevés
à une haute contemplation. Lui-même, d'ailleurs, se veut d'en être
un, mais il se trompe. Au début il n'a pas su disposer ses pions pour
jouer ; il a cru qu'il suffisait de connaître les pièces du jeu
pour faire mat, mais il n'en est rien ! car ce Roi ne se livre qu'à celui
qui se livre entièrement à lui.