Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
CHAPITRE 65
Des effets de l'oraison quand elle est parfaite.
1 Remarquez
bien, mes soeurs, qu'il dit : " comme nous pardonnons " ; c'est chose
faite - je le répète - ; voyez si après avoir reçu
les grâces que Dieu accorde à l'âme dans la prière
que j'ai appelée contemplation parfaite, votre âme est fermement
résolue à pardonner, et si, quand l'occasion s'en présente,
elle pardonne effectivement n'importe quelle injure grave ; je ne parle pas
de ces petits riens qui n'atteignent pas l'âme que Dieu amène à
un si haut état car, à ce stade, elle ne se soucie pas plus d'être
estimée que d'être méprisée ; au contraire, l'honneur
la peine plus que le déshonneur.
2 Ainsi donc, si les grâces ne produisent pas ces effets, vous pouvez
être sûres qu'elles ne venaient pas de Dieu mais du démon
: s'agissait de quelque illusion, d'un sentiment de douceur que le démon
vous présentait comme excellent, afin que vous attachiez davantage d'importance
à votre honneur. Mais comme le bon Jésus sait que là où
il passe, il laisse les effets susdits, il dit résolument à son
Père que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensées.
3 C'est une chose tout à fait étonnante que la perfection de cette
prière évangélique ; elle est aussi parfaite que le maître
qui nous l'enseigne ; il est donc juste, mes filles' que chacune de nous s'en
serve à son gré. Je me suis émerveillée aujourd'hui
en découvrant que toute la contemplation et la perfection étaient
enfermées dans si peu de paroles. Il semble que nous n'ayons pas besoin
d'étudier d'autre livre que celui-là. En effet, jusqu'ici le Seigneur
nous a enseigné toute la méthode la plus haute de contemplation,
depuis les débuts de l'oraison mentale jusqu'aux plus hauts sommets de
la contemplation parfaite ; si je n'avais écrit ailleurs à ce
sujet, et si je ne craignais de m'étendre encore - ce qui serait fâcheux
- je pourrais, sur un fondement aussi vrai, écrire un grand livre sur
l'oraison. Maintenant le Seigneur commence à nous montrer les effets
qui résultent de l'oraison et de la contemplation, quand elles viennent
de Dieu.
4 Et c'est ainsi que m'étant demandé pourquoi Sa Majesté
ne s'était pas expliquée davantage sur des choses si hautes afin
de nous en donner l'intelligence, il m'a semblé que cette prière
étant générale et destinée à tous, il fallait
que chacun de nous, s'imaginant la bien comprendre, puisse demander selon sa
convenance, et y trouver un motif de consolation ; c'est pourquoi il nous la
laissa sous une apparence confuse. Que son nom soit béni pour toujours
et toujours, amen. Et pour l'amour de lui, je supplie le Père Éternel
de me pardonner mes offenses et mes graves péchés (car moi je
n'ai rien à pardonner à personne, et chaque jour j'ai besoin qu'on
me pardonne), et de me donner sa grâce pour qu'un jour j'ai quelque chose
à offrir, et qu'ainsi je puisse demander.
5 Donc, le bon Jésus a enseigné une sublime méthode d'oraison
; il a demandé que nous soyons comme des anges dès cet exil (si
de toutes nos forces nous faisons ce que nous pouvons pour conformer nos actes
à nos paroles), et que nous ressemblions à des fils d'un tel Père
et à des frères d'un tel Frère. Sa Majesté sait
que si nos actes et nos paroles ne font qu'un, le Seigneur ne manquera pas d'accomplir
ce que nous lui demandons, nous donnera son royaume, et nous aidera au moyen
de faveurs surnaturelles telles que l'oraison de quiétude, la contemplation
parfaite et toutes les autres grâces dont le Seigneur gratifie nos pauvres
efforts, puisque ce que nous pouvons tenter et obtenir par nous-mêmes
est fort peu. Mais si nous faisons ce que nous pouvons, soyons tout à
fait sûres que le Seigneur nous aidera, puisque son Fils demande pour
nous cette faveur, et semble avoir fait en notre nom une sorte de pacte avec
Sa Majesté, et lui avoir dit : faites cela, ô mon Père,
et ils feront ceci. Or il est bien certain que ce n'est pas lui qui manquera
à sa parole. Oh ! oh ! il est très bon payeur et il paie très
largement !
6 Il pourra même, mes filles, vous arriver un jour de dire cette prière
de telle façon que le Seigneur ne voyant chez vous aucune duplicité,
mais au contraire une résolution de mettre en pratique ce que vous dites,
vous comble d'un coup de richesses. Soyez loyales avec lui, car il aime beaucoup
qu'on n'essaie pas de le tromper - d'autant qu'on ne peut y réussir puisqu'il
sait tout -, et si vous vous adressez à lui avec vérité
et simplicité il vous donnera toujours plus que vous ne demandez. Notre
bon Maître, je le répète, sait cela, il sait que ceux qui
arrivent à formuler cette demande d'une façon parfaite atteindront
un degré élevé de perfection, grâce aux faveurs que
son Père leur fera ; il comprend que ceux qui y sont parvenus ne craignent
pas, et n'ont pas de raison de craindre, car ils ont, comme on dit, le monde
sous leurs pieds ; le Seigneur est content, et par les effets qu'Il opère
dans leur âme, ils peuvent avoir l'immense espérance qu'Il l'est
effectivement. Transportés par ces délices, ils voudraient ne
plus songer qu'il y a un autre monde, et oublier qu'ils ont des ennemis.
7 O Sagesse éternelle ! O bon Pédagogue ! quelle bénédiction,
mes filles, qu'un maître sage, prudent, qui prévoit les dangers
! C'est le plus grand bien qu'une âme spirituelle puisse avoir en ce monde,
c'est une complète sécurité ; je ne saurais trouver de
mots pour en exprimer l'importance. Et c'est ainsi que le Seigneur vit qu'il
était nécessaire de réveiller ces âmes, et de leur
rappeler qu'elles avaient des ennemis ; il vit qu'il serait plus dangereux pour
elles que pour d'autres de ne pas être sur leurs gardes, et qu'elles avaient
d'autant plus besoin d'un secours du Père Éternel pour ne pas
tomber ou vivre dans l'illusion sans s'en rendre compte. Aussi fait-il ces demandes.