Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 7

Traite de deux sortes d'amour et dit combien il importe de savoir lequel est spirituel ; parle des confesseurs.
1 Je veux maintenant parler de deux sortes d'amour : L'un est purement spirituel, parce qu'il semble dégagé de nos sens et des mouvements de notre nature ; L'autre est spirituel, mais nos sens et notre faiblesse y ont leur part. Ce qui importe, c'est qu'aucune passion n'entache ces deux manières de nous aimer, car dès que la passion intervient elle détruit toute harmonie ; mais si nous pratiquons l'amour dont j'ai parlé avec modération et discrétion, tout deviendra méritoire, car ce qui nous semble mouvement de nature se transformera en vertu ; pourtant, le spirituel et le naturel sont tellement entremêlés qu'il est parfois impossible de les distinguer, surtout si un confesseur est en jeu ; en effet, si les personnes qui s'adonnent à l'oraison voient en lui un homme saint, et si elles sentent qu'il comprend leur cheminement spirituel, elles s'attacheront beaucoup à lui.
2 C'est alors que le démon les harcèle d'une foule de scrupules qui troublent leur âme au plus haut point ; c'est ce à quoi il vise ; et si précisément le confesseur mène ces âmes vers une haute perfection, le démon les inquiète à un tel point qu'elles en viennent à quitter le confesseur. Mais cette tentation ne cesse pas de les tourmenter avec un deuxième confesseur, puis avec un troisième. Ce qu'elles peuvent faire dans un cas semblable, c'est essayer de ne pas se préoccuper de savoir si elles l'aiment ou si elles ne l'aiment pas ; mais si elles l'aiment, eh bien ! qu'elles l'aiment ! En effet, puisque nous éprouvons de l'affection pour celui qui fait du bien à notre corps, pourquoi n'aimerions nous pas ceux qui s'efforcent et travaillent sans cesse à faire du bien à notre âme ? Justement, si le confesseur est saint et spirituel, et si je vois qu'il s'efforce de faire progresser mon âme, il est à mon sens très bénéfique pour l'avancement de celle-ci d'avoir de l'affection pour lui ; car notre faiblesse est si grande que parfois une telle affection nous aide entreprendre de grandes choses pour le service de Dieu. Mais si le confesseur n'est pas tel que je l'ai dit, c'est dangereux et, s'il comprenait que vous avez de l'attachement pour lui, il pourrait en survenir un très grand préjudice, et dans les maisons où la clôture est très stricte, beaucoup plus que dans d'autres. Comme il est difficile de savoir quel confesseur est vraiment bon, il faut beaucoup de prudence et de circonspection. Le mieux serait qu'il ne comprenne pas qu'on lui est attaché et qu'on ne le lui dise pas ; mais le démon exerce sur l'âme une pression telle que vous n'avez pas cette possibilité ; il vous semblera au contraire que la seule chose que vous ayez à confesser est celle-là, et que vous y êtes obligées. C'est pourquoi je voudrais que vous soyez persuadées que tout cela n'est rien, et que vous n'en teniez aucun compte. Suivez ce conseil : si vous voyez que tous les discours du confesseur ont pour but le bien de votre âme, si vous ne voyez ni ne trouvez en lui trace de vanité (on s'en rend compte tout de suite, à moins de vouloir faire la sotte), et si vous remarquez qu'il craint Dieu, alors quelle que soit la tentation que vous ayez de lui être trop attachées, ne vous inquiétez nullement ; le démon se fatiguera et la tentation disparaîtra. Mais viendriez-vous à remarquer que quelque vanité guide les propos du confesseur, tenez alors tout pour suspect, et sous aucun prétexte n'ayez d'entretien avec lui, même sur l'oraison ou les choses de Dieu ; confessez-vous brièvement et arrêtez-vous-en là. Le mieux serait de dire à la Mère prieure que votre âme n'est pas à l'aise avec lui, et de le changer. C'est le mieux si la chose est possible, et j'espère en Dieu qu'elle le sera ; même si vous croyez en mourir, faites tout ce que vous pourrez pour ne plus avoir aucun rapport avec lui.
3 Comprenez combien cela importe, car c'est un péril, un enfer et un dommage pour toutes. Je vous prie de ne pas attendre que le mal soit considérable ; enrayez-le tout à fait au début par tous les moyens que vous pourrez imaginer ; vous pouvez le faire avec bonne conscience. Mais j'espère que le Seigneur ne permettra pas que des personnes appelées à passer tant de temps en oraison puissent éprouver de l'amour pour quelqu'un qui n'en ressent pas lui-même pour Dieu, et n'est pas très vertueux. Cela est certain, ou bien il n'est pas moins certain qu'elles ne sont pas des âmes de prière ; et si elles en sont, et voient que le confesseur ne comprend pas leur langage et n'est pas porté à parler de Dieu, elles ne pourront l'aimer, car il n'est pas leur semblable ; s'il l'est, comme les opportunités qu'il y a ici sont rarissimes, ou il sera vraiment très simple, ou il ne voudra ni se troubler ni troubler les servantes de Dieu là où leurs désirs ont si peu de chance - ou même aucune - d'être satisfaits.
4 Puisque j'ai commencé à parler de ce sujet, je répète qu'il y a là le plus grand dommage que le démon peut causer dans des monastères dont la clôture est si stricte, et que c'est celui dont on tarde le plus à s'apercevoir ; ainsi, la perfection se dégrade peu à peu sans que l'on sache comment ni d'où cela provient ; en effet, si à cause de sa vanité le confesseur incite aux vanités, tout lui semblera rien, même chez les autres. Que Dieu nous garde, pour l'amour de Sa Majesté, de choses semblables ! Cela suffit à troubler toutes les soeurs, parce que leur conscience leur dit le contraire de ce que dit le confesseur ; et si on les oblige à n'en avoir qu'un seul, elles ne savent que faire ni comment retrouver le repos, parce que celui qui devrait leur donner la paix et le remède, est celui-là même qui cause le trouble. J'ai vu dans certains monastères - quoique pas dans le mien - de grandes afflictions de cette sorte qui m'ont inspiré beaucoup de compassion.