Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
CHAPITRE 7
Traite de deux
sortes d'amour et dit combien il importe de savoir lequel est spirituel ; parle
des confesseurs.
1 Je veux maintenant parler de deux sortes d'amour : L'un est purement spirituel,
parce qu'il semble dégagé de nos sens et des mouvements de notre
nature ; L'autre est spirituel, mais nos sens et notre faiblesse y ont leur
part. Ce qui importe, c'est qu'aucune passion n'entache ces deux manières
de nous aimer, car dès que la passion intervient elle détruit
toute harmonie ; mais si nous pratiquons l'amour dont j'ai parlé avec
modération et discrétion, tout deviendra méritoire, car
ce qui nous semble mouvement de nature se transformera en vertu ; pourtant,
le spirituel et le naturel sont tellement entremêlés qu'il est
parfois impossible de les distinguer, surtout si un confesseur est en jeu ;
en effet, si les personnes qui s'adonnent à l'oraison voient en lui un
homme saint, et si elles sentent qu'il comprend leur cheminement spirituel,
elles s'attacheront beaucoup à lui.
2 C'est alors que le démon les harcèle d'une foule de scrupules
qui troublent leur âme au plus haut point ; c'est ce à quoi il
vise ; et si précisément le confesseur mène ces âmes
vers une haute perfection, le démon les inquiète à un tel
point qu'elles en viennent à quitter le confesseur. Mais cette tentation
ne cesse pas de les tourmenter avec un deuxième confesseur, puis avec
un troisième. Ce qu'elles peuvent faire dans un cas semblable, c'est
essayer de ne pas se préoccuper de savoir si elles l'aiment ou si elles
ne l'aiment pas ; mais si elles l'aiment, eh bien ! qu'elles l'aiment ! En effet,
puisque nous éprouvons de l'affection pour celui qui fait du bien à
notre corps, pourquoi n'aimerions nous pas ceux qui s'efforcent et travaillent
sans cesse à faire du bien à notre âme ? Justement, si le
confesseur est saint et spirituel, et si je vois qu'il s'efforce de faire progresser
mon âme, il est à mon sens très bénéfique
pour l'avancement de celle-ci d'avoir de l'affection pour lui ; car notre faiblesse
est si grande que parfois une telle affection nous aide entreprendre de grandes
choses pour le service de Dieu. Mais si le confesseur n'est pas tel que je l'ai
dit, c'est dangereux et, s'il comprenait que vous avez de l'attachement pour
lui, il pourrait en survenir un très grand préjudice, et dans
les maisons où la clôture est très stricte, beaucoup plus
que dans d'autres. Comme il est difficile de savoir quel confesseur est vraiment
bon, il faut beaucoup de prudence et de circonspection. Le mieux serait qu'il
ne comprenne pas qu'on lui est attaché et qu'on ne le lui dise pas ;
mais le démon exerce sur l'âme une pression telle que vous n'avez
pas cette possibilité ; il vous semblera au contraire que la seule chose
que vous ayez à confesser est celle-là, et que vous y êtes
obligées. C'est pourquoi je voudrais que vous soyez persuadées
que tout cela n'est rien, et que vous n'en teniez aucun compte. Suivez ce conseil
: si vous voyez que tous les discours du confesseur ont pour but le bien de
votre âme, si vous ne voyez ni ne trouvez en lui trace de vanité
(on s'en rend compte tout de suite, à moins de vouloir faire la sotte),
et si vous remarquez qu'il craint Dieu, alors quelle que soit la tentation que
vous ayez de lui être trop attachées, ne vous inquiétez
nullement ; le démon se fatiguera et la tentation disparaîtra.
Mais viendriez-vous à remarquer que quelque vanité guide les propos
du confesseur, tenez alors tout pour suspect, et sous aucun prétexte
n'ayez d'entretien avec lui, même sur l'oraison ou les choses de Dieu
; confessez-vous brièvement et arrêtez-vous-en là. Le mieux
serait de dire à la Mère prieure que votre âme n'est pas
à l'aise avec lui, et de le changer. C'est le mieux si la chose est possible,
et j'espère en Dieu qu'elle le sera ; même si vous croyez en mourir,
faites tout ce que vous pourrez pour ne plus avoir aucun rapport avec lui.
3 Comprenez combien cela importe, car c'est un péril, un enfer et un
dommage pour toutes. Je vous prie de ne pas attendre que le mal soit considérable
; enrayez-le tout à fait au début par tous les moyens que vous
pourrez imaginer ; vous pouvez le faire avec bonne conscience. Mais j'espère
que le Seigneur ne permettra pas que des personnes appelées à
passer tant de temps en oraison puissent éprouver de l'amour pour quelqu'un
qui n'en ressent pas lui-même pour Dieu, et n'est pas très vertueux.
Cela est certain, ou bien il n'est pas moins certain qu'elles ne sont pas des
âmes de prière ; et si elles en sont, et voient que le confesseur
ne comprend pas leur langage et n'est pas porté à parler de Dieu,
elles ne pourront l'aimer, car il n'est pas leur semblable ; s'il l'est, comme
les opportunités qu'il y a ici sont rarissimes, ou il sera vraiment très
simple, ou il ne voudra ni se troubler ni troubler les servantes de Dieu là
où leurs désirs ont si peu de chance - ou même aucune -
d'être satisfaits.
4 Puisque j'ai commencé à parler de ce sujet, je répète
qu'il y a là le plus grand dommage que le démon peut causer dans
des monastères dont la clôture est si stricte, et que c'est celui
dont on tarde le plus à s'apercevoir ; ainsi, la perfection se dégrade
peu à peu sans que l'on sache comment ni d'où cela provient ;
en effet, si à cause de sa vanité le confesseur incite aux vanités,
tout lui semblera rien, même chez les autres. Que Dieu nous garde, pour
l'amour de Sa Majesté, de choses semblables ! Cela suffit à troubler
toutes les soeurs, parce que leur conscience leur dit le contraire de ce que
dit le confesseur ; et si on les oblige à n'en avoir qu'un seul, elles
ne savent que faire ni comment retrouver le repos, parce que celui qui devrait
leur donner la paix et le remède, est celui-là même qui
cause le trouble. J'ai vu dans certains monastères - quoique pas dans
le mien - de grandes afflictions de cette sorte qui m'ont inspiré beaucoup
de compassion.