Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 40
Comment il faut faire la prière vocale avec perfection et combien elle est liée à l'oraison mentale.
1 Il est clair,
encore une fois, que nous devons prêter attention à ce que nous
récitons. Il ne faut pas que l'on puisse nous reprocher de parler sans
comprendre ce que nous prononçons, à moins que vous ne disiez
qu'il n'est pas nécessaire de comprendre, que vous agissez désormais
par coutume et qu'il suffit de prononcer les mots. Si cela suffit ou non, je
ne me mêle pas de le savoir ; c'est l'affaire des théologiens ;
ils répondront aux personnes à qui Dieu inspirera le désir
d'aller les consulter ; quant à moi, je ne veux pas discuter la position
de ceux qui n'ont pas embrassé notre état. Pour nous, ce que je
voudrais, mes filles, c'est que nous ne nous contentions pas de cela ; quand
je dis " je crois ", il me semble raisonnable, et même obligatoire,
de savoir ce que je crois ; quand je dis " Notre Père ", l'amour
voudra, ce me semble, que je comprenne qui est ce Père. Il serait donc
bien que nous voyions aussi qui est le Maître qui nous a enseigné
cette prière.
2 Si nous voulons dire qu'il suffit de savoir une bonne fois pour toutes qui
est le Maître, sans que nous ayions plus jamais à penser à
lui, vous pouvez également dire qu'il suffit de réciter cette
prière une fois dans sa vie. Certes ! il y a, comme on dit, une grande
différence entre maître et maître (c'est déjà,
semble-t-il, un grand malheur de ne pas nous souvenir de ceux qui nous instruisent
ici-bas), et s'il est maître de notre âme et que nous sommes de
bons élèves, il est impossible de ne pas éprouver pour
lui beaucoup d'amour, d'être fiers de lui-même et de ne pas parler
très souvent de lui. Mais lorsqu'il s'agit d'un maître tel que
celui qui nous a enseigné cette prière, et nous l'a apprise avec
tant d'amour et un si vif désir qu'elle nous fût profitable, à
Dieu ne plaise que nous ne nous souvenions pas très souvent de lui en
la récitant, même si dans notre faiblesse nous n'y pensons pas
à chaque fois.
3 Tout d'abord, vous savez que ce Maître céleste nous enseigne
à prier dans la solitude ; c'est ainsi qu'il faisait toujours quand il
priait (non que cela lui fût nécessaire, mais parce qu'il voulait
nous enseigner).
4 Nous avons déjà dit qu'on ne saurait parler en même temps
à Dieu et au monde ; c'est pourtant ce que nous faisons quand nous récitons
des prières en écoutant ce qui se dit autour de nous, ou laissons
errer nos pensées sans essayer de les maîtriser ; nous savons bien
que cela n'est pas bon, et que nous devons essayer d'être seules, mais
plaise à Dieu que nous réalisions en présence de qui nous
sommes, et quelle réponse le Seigneur fait à nos demandes ! Pensez-vous
qu'il se taise, bien que nous ne l'entendions pas ? Il parle au coeur quand
nous le prions de tout notre coeur ! Une fois que nous avons compris qu'il faut
le prier dans la solitude, il est bon de considérer que c'est à
chacune d'entre nous que le Seigneur a enseigné cette prière,
et qu'il nous l'enseigne encore en ce moment, car jamais le Maître n'est
si éloigné de son disciple qu'il doive élever la voix ;
il est au contraire tout prés de lui. Voilà ce que je veux que
vous saisissiez : pour bien réciter le Paternoster, il vous convient
de rester près du Maître qui vous l'a enseigné.
5 Vous allez dire : cela, c'est méditer, et objecter que vous ne pouvez
ni ne voulez pratiquer cet exercice, que vous désirez seulement prier
vocalement et, dans un sens, vous avez raison. Mais je vous déclare que
je ne sais pas comment vous pouvez séparer ces deux choses (si notre
prière vocale est faite en songeant à qui nous parlons ; et il
est raisonnable et même obligatoire pour nous d'essayer de prier en comprenant
à qui nous nous adressons) ; et plaise à Dieu que, même
avec ces moyens, nous récitions convenablement le Paternoster et ne l'achevions
pas au milieu de mille distractions. Pour moi, je m'y suis exercée plusieurs
fois, et je n'ai pas trouvé de meilleur remède que celui de fixer
ma pensée sur celui à qui j'adresse mes paroles. Ayez donc de
la patience, c'est nécessaire pour être religieuses et même,
à mon avis, pour prier comme de bons chrétiens.